Le repas d'hier a été d'un ennui mortel. Je me souviens encore de chaque détail. Chaque instant qui s'est étiré de manière interminable. Meredith, dans sa splendeur inébranlable, n'a cessé de monopoliser la conversation. Son propre égo était la seule chose digne d'être exposée. Elle a enchaîné des éloges sur elle-même. Des histoires totalement absurdes qui frôlent la limite du grotesque. Chaque anecdote qu'elle a raconté, chaque détail qu'elle a souligné sur ses accomplissements semblait de plus en plus exagéré. Elle s'est efforcée de nous convaincre et surtout de se convaincre elle-même qu'elle était quelqu'un d'exceptionnel. Il fallait voir ses yeux briller, son sourire satisfait... elle croit peut-être que tout cela la rend plus attachante, plus digne d'intérêt. Pour moi, c'est tout le contraire. C'est un écran de fumée qui cache ou tente de cacher, un vide absolu.
Et Jude, là, en face de nous, paraissait captivé, ou du moins, il semblait ne pas prêter attention à l'ennui manifeste qui se lisait sur mon visage. Il riait de bon cœur, acquiesçant à chaque nouveau commentaire de Meredith. Il a plongé, tête la première, dans cette atmosphère superficielle et éphémère qu'elle a créé autour d'elle. Je me suis sentie invisible, comme si mes pensées, mes désirs et mon mal-être étaient relégués au second plan. Tout ce qui comptait, c'était Meredith et ses histoires interminables. Il n'a même pas remarqué que mon sourire se faisait plus forcé au fil du temps. Il n'a même pas remarqué que je perdais peu à peu l'envie de rester dans cette pièce, à respirer cet air de vanité, à écouter cette conversation qui n'avait aucun sens.
À un moment donné, la migraine a été plus forte que tout. C'était la seule excuse valable qui me permettait de m'éclipser discrètement. Alors, sans prévenir, j'ai prétexté un mal de crâne intense. Un mal de crâne qui n'avait en réalité aucune légitimité mais qui m'a permis de m'échapper. J'ai vu l'expression de Jude changer un instant mais il n'a rien dit. Le sourire aux lèvres, il a simplement répondu :
- Ça va te faire du bien de te reposer, bonne nuit.
Ces mots, au lieu de me rassurer, m'ont heurtée. J'aurais voulu qu'il me retienne, qu'il me demande de rester même avec un simple regard, un mot, un geste. J'aurais aimé qu'il lise dans mes yeux la déception qui se tenait là, bien présente, bien ancrée. Mais non. Il ne m'a rien dit de plus. Rien de ce que j'avais espéré. Il m'a laissée partir sans un mot supplémentaire. Et j'ai compris, à cet instant précis, que ce n'était pas important pour lui. Peut-être qu'il n'a même pas remarqué ma présence, pas de manière significative en tout cas. Une présence parmi tant d'autres, qui n'a pas d'incidence sur son quotidien.
Je suis partie fatiguée et déçue. Mais je n'ai rien dit. C'était plus facile ainsi. Dans cette solitude retrouvée de ma chambre, je me suis sentie totalement inutile. Une figurante de leur film. J'ai fermé les yeux mais le silence m'a écrasée. Je ne savais même pas pourquoi j'étais déçue. Était-ce la soirée ratée ? Non, c'était plus profond. C'était le sentiment d'être insignifiante dans son monde. Il y a des moments où l'on a l'impression de tout donner pour une personne, de vouloir lui offrir notre attention, notre affection. Et puis, d'un coup, la réalité nous frappe, ce n'est peut-être même pas ce qu'elle attend de nous.
Et pourtant, cette réalité n'est pas une surprise. Je devrais m'y être habituée depuis le temps. Depuis le début, tout indique que Jude est une personne qui vit dans un autre monde. Un monde de distractions, d'apparences et de superficialités. Je ne sais pas pourquoi je m'obstine à espérer autre chose. À vouloir croire qu'il y a un fond plus profond sous cette façade qu'il semble si facilement afficher. Mais chaque fois que je crois l'apercevoir, il disparaît à nouveau dans cette carapace glacée.
Il semblerait donc que je doive m'habituer à ressentir cette perpétuelle déception. À m'habituer à être celle qui attend, celle qui espère. Mais combien de temps encore pourrais-je continuer ainsi ? Combien de temps avant que l'acceptation de cette réalité me brise complètement ?
Ce n'est vraiment pas comme ça que j'avais imaginé notre petite soirée romantique. C'était censé être un moment entre nous deux. Un moment de partage, d'intimité. Mais au lieu de ça, je me suis retrouvée en périphérie de sa vie. En attente d'une attention qui ne vient pas. Et à force, ça devient douloureux. Ça écorche lentement, ça grignote l'âme, cette absence de considération. Chaque minute passée dans cette pièce me rapprochait un peu plus de l'inévitable conclusion : je n'étais pas celle qu'il regardait.
Ce matin, je suis un peu perdue. Je n'ai aucune direction à suivre. Mon stage ne commence que dans quatre jours. Que vais-je bien pouvoir faire en attendant ? Je ne connais pas les alentours et pour être tout à fait honnête, je n'ai pas du tout la motivation d'en apprendre davantage sur cette ville pour le moment. Ce n'est pas qu'elle ne me plaît pas, c'est que je suis trop fatiguée d'être ici. La ville ne m'appartient pas.
Mon quotidien me manque. La routine, les visages familiers, les petites habitudes qui me réconfortent. Mon entourage me manque et je réalise à quel point je me sens seule ici, même au milieu de cette ville animée. J'ai l'impression que tout m'échappe. Que je suis là, mais que je n'existe pas encore.
Mince, mon portable ! Je viens de réaliser que je n'ai même pas pris le temps de le consulter depuis mon arrivée ici. C'est fou, comment j'ai pu l'oublier. J'avais promis à mes parents de les contacter dès que possible. Quelle idiote ! Ils doivent être morts d'inquiétude à se demander si tout va bien pour moi. Ils ont dû imaginer tout un tas de scénarios.
Je me précipite donc vers mon téléphone. C'était prévisible, la batterie est complètement à plat. Un soupir m'échappe. C'est vraiment le comble. J'aurais dû y penser plus tôt. J'aurais dû les appeler, leur envoyer un message pour les rassurer.
Je m'empresse de brancher mon téléphone, pressée de pouvoir enfin communiquer avec mes proches. J'ai besoin d'entendre leur voix. J'ai besoin de savoir qu'ils sont là, même à distance. J'ai l'impression que le simple fait de me reconnecter avec eux, même virtuellement, pourrait me redonner un peu de baume au cœur. J'ai besoin d'un signe que la vie continue, même ici, même à des kilomètres de chez moi.
Les deux bip sonores, francs et nets, résonnent dans la pièce et m'indiquent que l'appareil est prêt à être utilisé.
Les dix appels manqués de Carrie et les trois d'Oliver m'agressent visuellement. Chaque appel manqué, chaque message non consulté, me colle un peu plus à cette sensation de culpabilité que je tente d'ignorer.
Un éclat de souvenir me traverse, brut, rapide. Oliver. S'il savait où je me trouve à cet instant précis. S'il savait ce que je fais. Il serait sûrement fou de rage. Je peux l'imaginer clairement. Les poings serrés, les yeux brûlants d'incompréhension et de colère. Il faut dire que la dernière fois qu'il s'est retrouvé en présence de Jude, il s'en ait pris plein la figure, dans tous les sens du terme. La rancune qu'il nourrit à l'égard de Jude est devenue une véritable certitude. Il n'a jamais caché son animosité envers lui et le simple fait d'évoquer ce nom semble suffire à réveiller une agressivité presque incontrôlable. Non pas que l'on se soit promis quoique ce soit, que ce soit dans nos conversations ou dans les actes. Pourtant, quelque part, dans un coin de ma tête, je sais qu'il est en droit d'attendre des réponses. Sauf que ces réponses, je ne les ai pas. Et pire encore, je n'ai pas de solution à lui apporter, ni à moi-même d'ailleurs. Entre le déni et la culpabilité, j'hésite, je me perds.
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Many Love - Saison 1
Romance⚠️ Bad boy en vue, vous êtes prévenus La médecine ? Plus qu'un rêve, une évidence. Les études. Voilà ce qui compte aux yeux de Manon Desfleur. Il y a deux ans, cette jeune française a rejoint les États-Unis pour décrocher son diplôme. Déterminée...