Ce n'est qu'après un court moment de flottement que je commence à percevoir la clarté de ce que je viens d'entendre.
Une personne insiste pour vous voir.
À ma connaissance, hormis ma famille proche, aucun ami, aucune connaissance n'est au courant de l'endroit où je séjourne.
Je fais un effort pour sortir du lit. Le corps encore engourdi par le sommeil. La sensation est lourde. Je tâte la table de chevet, mes doigts cherchent le chemin jusqu'à mon téléphone portable. Je l'allume d'un geste incertain, hésitant. J'espère que tout cela ne soit qu'une mauvaise blague, un quiproquo. Mais non. 03h47. La nuit est bien avancée et l'heure inscrite sur l'écran est un couperet. Un malaise, une vague de chaleur froide me parcourt le dos. C'est réel. Ce n'est pas un rêve.
Dans un éclat de lucidité, l'idée la plus logique traverse mon esprit : le réceptionniste s'est trompé de numéro de chambre. C'est la seule explication raisonnable. Je m'empresse alors de saisir le combiné du téléphone fixe. Son câble tordu est trop court. Je compose le numéro de la réception d'un geste nerveux. Il faut que je fasse vite.
- Excusez-moi de vous rappeler, mais je pense sincèrement que vous vous êtes trompés.
L'incompréhension qui m'envahit se fait entendre dans mon ton. Pourtant, l'autre côté du fil reste d'une sérénité glaciale.
- Non, Mademoiselle Desfleur, c'est bien de vous dont il s'agit, dit-il, implacable. Une personne insiste pour vous voir.
Le réceptionniste répète la même phrase. Je reste figée, le téléphone à l'oreille. Mes pensées sont partagées entre la panique naissante et la confusion. Pourquoi cette insistance ? Qui pourrait vouloir me voir, à cette heure ?
- Oh... étrange, murmuré-je enfin, incapable de formuler autre chose, ma voix brisée par le doute. J'arrive alors.
Je raccroche en hâte. Mon esprit est déjà ailleurs. Mon esprit est déjà en train de calculer, de m'interroger sur cette rencontre inopinée. Je suis envahie par une sensation de malaise qui ne fait qu'augmenter.
Dans un sursaut, je me dépêche de quitter mon lit mais la pesanteur de la nuit semble me retenir encore dans ses bras. J'arrive à me défaire de mon pyjama nounours. En une fraction de seconde, je remplace sa douceur par le confort froid et fonctionnel d'un jogging Nike. Je l'enfile sans même réfléchir. Un tee-shirt sportswear suit. Les gestes sont automatiques.
L'ascenseur, d'une lenteur exaspérante, ne semble pas vouloir me permettre d'échapper à cette situation. Je n'ai pas le temps pour l'attente. Je suis pressée. Trop pressée. Chaque seconde qui s'écoule semble un petit supplice. Chaque étagement du temps m'apparaît comme une agonie qu'il faut faire cesser. Le bruit du moteur de l'ascenseur accentue mon mal-être.
Lorsque l'ascenseur finit par arriver au rez-de-chaussée, je me précipite hors de l'appareil. Mes pas sont rapides, presque précipités. Je me dirige vers la réception. Mes mouvements sont plus secs, plus hâtifs. Tout en moi me pousse à vouloir que cette histoire se termine rapidement.
La réception se trouve au bout du couloir. Une distance qui se multiplie à chaque pas que je fais. Les lumières tamisées de l'hôtel qui paraissent si douces à d'autres heures semblent ici criardes et froides. J'espère que je vais avoir une explication rationnelle. Une justification à toute cette confusion. Je n'ai aucune envie d'affronter l'inconnu. Pourtant, il me faut avancer. Plus vite. Plus loin.
Hormis l'homme installé derrière son comptoir, le hall de l'hôtel est désert. Un silence profond, presque oppressant, règne en maître dans cet espace généralement animé. Si tout cela est une blague, alors elle est d'un mauvais goût affligeant et je suis loin de trouver ça drôle. Je sens la colère monter en moi. Une colère sourde et rageuse qui bouillonne sous la surface, prête à éclater. Avant que je n'aie eu le temps d'exprimer ma frustration, le réceptionniste, Alfred, comme l'indique son badge, pointe du doigt l'objet du dérangement.
Jude.
Il est là. Il est assis sur l'un des fauteuils en velours, disposé avec une nonchalance presque délibérée, à gauche de l'entrée. Le tableau qui s'offre à moi est à la fois étrange et familier. Ses cheveux sont en bataille et les trois premiers boutons de sa chemise sont ouverts. Dans sa main, un verre de whisky qu'il fait tourner distraitement. Comme pour occuper ses mains. Comme pour faire disparaître la tension qui pèse sur ses épaules. Il ne bouge pas lorsque je m'avance.
Je me fige un instant, le regard rivé sur lui. Qu'est-ce qu'il me veut ? La question m'obsède mais je n'ose la formuler à haute voix. Il reste là, implacable, le visage impassible. Le temps ne semble pas avoir eu de prise sur lui. Ces cinq mois n'étaient-ils qu'une illusion ?
Sans un mot, je m'installe en face de lui. Le regard toujours ancré dans le sien, je cherche à déchiffrer le sens de sa présence. Le silence s'installe alors. Le tic-tac d'une horloge lointaine se fait de plus en plus insistant dans le calme oppressant qui nous entoure. Il n'y a que la distance qui nous sépare mais elle est abyssale. Et c'est moi qui brise ce silence.
- Que fais-tu là, Jude ?
Ma voix résonne plus fort que ce que je voulais. Il n'y a pas de colère, pas encore. Juste une question lancinante qui se fraye un chemin.
De nouveau, le silence. Ce silence lourd, oppressant. Une éternité s'écoule avant qu'il ne daigne répondre. Son regard s'adoucit légèrement mais il y a quelque chose de résigné dans son expression. Un soupçon de tristesse, peut-être, un peu d'amertume aussi. Rien qui ne me permette de comprendre ce qui le motive.
Finalement, il parle. Quatre mots. Quatre mots qui suffisent à tout chambouler en moi.
- Je voulais te voir.
Le souffle me manque un instant. Il me faut quelques secondes pour que ces mots atteignent ma conscience. Il me faut quelques secondes pour qu'ils prennent forme et se traduisent en un véritable sens. Je voulais te voir. Ces quatre mots me submergent. Je n'arrive pas à y croire. C'est tout ce qu'il a à dire après cinq mois de silence ? Après cinq mois d'absence totale ? Après avoir disparu sans laisser de trace, sans même un mot, une explication, un semblant de justification ? Et maintenant, il est là. Comme si de rien n'était. Comme si tout était simple. Comme si ces mois ne comptaient pas. Comme si le passé n'avait pas existé.
Je ne sais pas quoi répondre. Les questions se bousculent dans ma tête. La douleur de son absence, qui m'a frappée avec une violence inouïe pendant tout ce temps, resurgit soudainement. Elle est aussi présente, aussi vive, aussi tranchante. La nostalgie des moments partagés me scie le cœur.
- Pourquoi ?
C'est tout ce que je parviens à dire. Ma voix est rauque, presque brisée. Ce mot est une demande désespérée de réponses.
Je le fixe intensément. Je cherche des réponses dans ses yeux, des éclats de vérité, une sincérité quelconque. Mais son regard reste fuyant, indéchiffrable. Il ne répond pas immédiatement. Un nouveau silence s'installe, encore plus lourd, presque insoutenable. Il est là, il m'a retrouvée, mais il me doit des réponses. Il ne peut pas me laisser avec ces non-dits, avec cette douleur de l'incompréhension.
- Je n'y arrive pas, je dois partir.
Le regard perdu, Jude prononce ces mots, et, d'un geste brusque, il se lève et se dirige vers la sortie.
Un coup de panique me traverse instantanément. Non, je ne peux pas le laisser partir ainsi. Cette scène m'est trop familière. Ce sentiment d'abandon. Cette impression de vacuité qui me dévore chaque fois qu'il choisit de disparaître. Je suis fatiguée de cette danse du départ et du retour. Je suis fatiguée de l'incertitude qu'il instille en moi à chaque fois qu'il franchit le seuil de ma vie.
Je n'y réfléchis pas. Je ne me laisse pas envahir par la raison. Cette petite voix qui me suggère de le laisser partir si c'est ce qu'il veut. Non. Une impulsion me pousse à agir. Mes jambes me portent avant même que mon esprit n'ait eu le temps de saisir la portée de mon geste. Je fonce derrière lui.
- Jude !
Je hurle presque. C'est un cri de souffrance pure, d'incertitude, de peur de le perdre à nouveau. J'espère de tout cœur que mes paroles ne réveillent pas tout l'hôtel. Mais peu importe. Tout ce qui compte à cet instant, c'est qu'il m'entende, qu'il arrête de fuir, qu'il cesse de me laisser seule avec cette douleur que je n'arrive plus à porter.
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Many Love - Saison 1
Romance⚠️ Bad boy en vue, vous êtes prévenus La médecine ? Plus qu'un rêve, une évidence. Les études. Voilà ce qui compte aux yeux de Manon Desfleur. Il y a deux ans, cette jeune française a rejoint les États-Unis pour décrocher son diplôme. Déterminée...