Many Love - Saison 1

Le coup de grâce

Jude

Je fais signe à Ambre de me suivre. Le besoin de parler est pressant mais il me faut un endroit plus intime. Loin des regards indiscrets et des oreilles curieuses. Le salon, bien trop exposé, est donc un lieu inapproprié. Elle me suit en silence. Elle est consciente de ma volonté de m'éloigner de cet espace. Nous franchissons le seuil de la petite pièce blanche qui me sert de bureau. Un lieu modeste, impersonnel mais qui a toujours eu l'avantage de me permettre de me concentrer, de mettre de l'ordre dans le chaos qui régit parfois ma vie. Je m'assois à mon bureau et sors la clé de ma poche d'une main distraite. Je la fais tourner entre mes doigts avant de l'enfoncer dans la serrure du tiroir.

Je l'ouvre lentement, avec une forme de réticence. Une part de moi hésite à faire ressurgir tout ce qui s'y trouve. Pourtant, mes yeux se portent directement sur ces photos, toujours là où je les ai laissées. Elles me fixent, silencieuses. Elles sont un miroir du passé que je n'ai pas pris la peine de revisiter depuis des mois.

Ambre s'approche de moi et prend place sur le rebord du fauteuil en verre. Elle me regarde sans un mot et pose doucement sa main sur mon avant-bras. Son geste est rempli de tendresse et je peux voir dans ses yeux verts, si semblables aux miens, une lueur d'inquiétude. Elle sait ce que ces photos représentent. Je la sens hésiter. Elle attend que je prenne l'initiative de briser le silence. Elle n'a jamais été du genre à imposer ses émotions. Mais elle sait aussi quand il est temps de montrer qu'elle est là pour moi. Sans juger, sans questionner.

L'émotion me saisit et les souvenirs déferlent. Je me retrouve noyé dans la nostalgie et la douleur. Ces photos, ces sourires, ces moments capturés. Tout me ramène à elle. À ce bonheur que j'ai cru éternel et qui, en un instant, s'est effondré. Je ferme les yeux. Mes larmes montent, brûlantes et prêtes. Le vide que j'ai ressenti en la perdant. La sensation d'avoir tout perdu ce jour-là...

Ambre le perçoit immédiatement. Son geste se fait plus appuyé. Elle exerce une pression douce mais insistante sur mon avant-bras qui me rappelle que je ne suis pas seul. Ses caresses agissent comme un baume sur mes blessures. C'est étrange, parfois, de la voir se comporter ainsi. Bien que plus jeune que moi, elle a souvent été celle qui, dans les moments les plus sombres, m'a tendu la main. Et aujourd'hui encore, dans ce moment de fragilité, c'est elle qui semble être la force tranquille.

J'essaie de retrouver une certaine maîtrise mais cette sensation d'être submergé par les émotions me rend vulnérable. Et, contre toute attente, j'accepte cette vulnérabilité. Je n'ai pas envie de me cacher derrière un masque de froideur ce soir. J'ai envie de lui dire ce que j'ai sur le cœur. J'ai envie de lui expliquer pourquoi ces photos m'éprouvent encore. J'ai envie de lui expliquer pourquoi ce bonheur passé me semble désormais hors de portée.

Je finis par tourner mon regard vers Ambre, la gorge nouée et je lui confie, presque dans un souffle :

- C'était tellement parfait, Ambre, avant que tout ne parte en éclats.

Elle me regarde et je sais qu'elle comprend. Il n'est pas nécessaire d'en dire plus. Elle sait ce que cette perfection signifiait pour moi et surtout, ce qu'elle m'a coûté lorsque tout a été brisé. Parce que rien n'a été aussi douloureux que cette perte. Rien ne m'a aussi profondément marqué que ce qui s'est passé après.

- Difficile d'imaginer que Meredith et elle étaient cousines, lance tristement Ambre, les yeux rivés sur ce bout de papier glacé.

Je la regarde. La même pensée traverse mon esprit. Oui, c'est difficile à concevoir. Emily. L'âme de la fête, toujours pleine de vie, de douceur et de naturel.

- Emily avait ce don. Elle savait apporter une lumière naturelle autour d'elle. Tout ce qu'elle touchait devenait plus lumineux. Elle n'avait pas besoin d'artifice pour être belle, elle était belle de l'intérieur, ajoute Ambre, une touche de mélancolie dans la voix.