Le silence, enfin, est retombé. En contraste total avec le tumulte que nous avons traversé. Tout semble irréel comme si le chaos d'il y a quelques instants n'avait jamais existé. Pourtant, je sens encore l'effervescence dans mes veines. Cette lourdeur dans ma poitrine. Ce poids qui reste. Un vestige de ce que nous venons de vivre. Je suis soulagée, presque autant que je suis épuisée.
Mais malgré ce soulagement, il y a encore cette petite part de moi qui s'interroge. Comment avons-nous traversé ça ? Comment ai-je pu rester debout, comment ai-je pu tenir bon malgré la violence des flashes, des cris et de la tension qui pesait sur chaque geste ? C'était un véritable cauchemar. La lumière aveuglante, les bruits stridents, les regards lourds de jugement. À un moment, je n'ai même plus su où j'étais. Le monde s'échappait, mes sens m'abandonnaient. La tête me tournait tellement que j'ai cru que je finirais par m'évanouir. J'avais l'impression que je m'enfonçais dans les ténèbres. J'avais l'impression que chaque flash me brûlait la rétine et que les cris me perçaient le crâne.
Mais au milieu de cette tempête, il y a eu ce geste. Un geste simple qui m'a permis de me raccrocher à la réalité. La main de Jude. Ce contact. Cette connexion. Cela a suffi pour que mon corps se calme, que mon esprit se recentre. C'était comme si tout s'apaisait d'un coup.
Et pourtant, un voile de doute reste suspendu au-dessus de moi. Une ombre persistante. Comment ai-je pu me sentir aussi en confiance avec lui, après tout ce que j'ai vécu ? Après tout ce qu'il m'a fait subir, depuis notre rencontre. Comment ai-je pu oublier, même pour un instant, tout ce qu'il représente, ses erreurs, ses promesses non tenues ?
C'est une histoire de trahisons, de non-dits, de rapports compliqués. Un mélange de douleur et de désirs. Avoir confiance en lui, c'est la dernière chose sensée, en apparence. Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander, chaque fois, pourquoi je me sens plus à l'aise avec lui qu'avec n'importe qui d'autre.
Il y a ce paradoxe en lui. Une sorte de duplicité qui m'obsède. Jude fait de l'ordre dans le chaos, mais en même temps, y participe parfois. Ce mec que je suis prête à détester pour tout ce qu'il m'a fait traverser, mais qui, à l'instant d'après, me tend la main avec une telle sincérité que je suis perdue.
Après ce déferlement de chaos, Jude s'est excusé. Mille fois. Deux mille fois. Je ne sais plus. J'ai perdu le compte. Chaque excuse était plus sincère que la précédente, plus désespérée aussi. Il était là, tout penaud, embarrassé. Exténué, légèrement bourré, les yeux cernés par la fatigue et l'alcool.
Peut-être qu'il a compris, enfin, qu'il n'est pas au-dessus des autres et que ses actes ont des conséquences. Même sur moi.
Je l'ai écouté mais sans vraiment l'entendre. Je l'ai vu mais sans vraiment le regarder. La fatigue et le poids de tout ce qui venait de se passer m'ont empêché d'être pleinement présente dans ce moment. À la place, j'ai simplement hoché la tête. Et je l'ai laissé filer. Tout juste assez lucide pour savoir qu'il avait besoin de repos. Besoin de s'éclipser, de se vider, de se détendre après ce déluge d'émotions.
Et là, il est allé s'allonger. Je l'ai vu s'éloigner et traîner ses pieds. Il avait l'air épuisé par la journée, les événements, les erreurs. Jude, l'homme aux multiples visages.
Une partie de ses proches viennent dîner ce soir, m'a-t-il annoncé avant de se diriger vers sa chambre. Il reste à peine une heure avant qu'ils n'arrivent et je réalise que je n'ai pas eu le temps de faire grand-chose. Il est déjà 19h et l'heure du dîner approche.
Je devrais me préparer mais je n'arrive pas à me motiver. La perspective de cette soirée me stresse. Ce dîner est censé être un moment convivial, un moment de rencontres. Mais j'ai peur de la fameuse première impression. Pour Carrie c'est une vérité universelle. Un axiome selon lequel tout repose sur cet instant décisif.
- Tout part de là, me répéterait-elle.
Comme si l'on pouvait résumer la complexité des relations humaines à une poignée de secondes où il faut être impeccable. Où chaque mot doit résonner juste.
Je doute que le récit de cet après-midi désastreux parvienne à rassurer Carrie sur l'endroit où je vis et surtout sur l'identité de mon colocataire. Quant à l'idée de la rassurer sur ma capacité à m'intégrer à ce milieu, j'en doute. Est-ce que je suis vraiment à ma place ici ? Est-ce que je serai capable de me fondre dans ce monde, avec ses propres règles, ses codes auxquels je n'ai pas encore tout à fait accès ?
Je me laisse tomber sur mon lit, exaspérée. Je plonge la tête dans l'un des oreillers à longs poils blancs. Le doux contact du tissu contre mon visage me réconforte légèrement mais la tension dans mes muscles ne se dissipe pas. Je ferme les yeux. Qu'est-ce qui pourrait être pire que cette journée ? Qu'est-ce qui pourrait ajouter une couche de stress supplémentaire à cet enchaînement de situations un peu trop chaotiques ?
Je n'arrive pas à trouver de réponse, pas tout de suite. Et puis, une idée surgit, plus perturbante encore : Meredith. Si elle est présente ce soir, ce serait la cerise sur le gâteau. Là, ce ne serait plus un simple dîner, ce serait carrément l'apothéose du cauchemar social. Meredith, avec son ego démesuré et son inépuisable capacité à parler d'elle-même. Il n'y a pas de place pour les autres dans ses discours. Il n'y a pas de place pour les autres préoccupations. Tout doit tourner autour de son petit univers.
Je grimace à l'idée de devoir l'affronter ce soir. La perspective d'écouter pendant des heures les détails de son existence autocentrée me semble intolérable. Comment pourrais-je supporter de sourire poliment, d'acquiescer à ses racontars sans me perdre dans un océan de désespoir ?
Et pourtant, je sais que je n'ai pas vraiment le choix. Je n'ai pas d'autre option que de sourire et de faire bonne figure. Ce soir, je serai là, dans ce cercle et je devrai accepter ce qui vient avec. Peu importe si ça me met mal à l'aise. Peu importe si je n'arrive pas à tout comprendre. Peu importe si je n'arrive pas à m'adapter aux conversations qui se dérouleront autour de moi. Il faudra que je fasse face à tout ça. Même si je ne suis pas prête. Même si je doute de tout.
Je me relève finalement. Il me reste une heure. Une heure pour me préparer. Une heure pour me donner un semblant de calme, un peu de contrôle. Une heure pour me convaincre que, peut-être, ce ne sera pas aussi terrible que je le crains. Peut-être qu'il n'y a rien à redouter. Peut-être que je me fais des films. Après tout, il est possible que cette soirée soit tout simplement normale. Mais avec tout ce que j'ai traversé ces derniers temps, le mot « normal » me paraît de plus en plus lointain. Une notion floue que j'ai un peu oubliée.
Mes cheveux sont lissés, parfaitement domptés. Mes yeux, eux, sont soigneusement maquillés. Il ne me reste plus qu'à m'habiller. Choisir une tenue qui me permettra de faire bonne impression tout en restant moi-même ou du moins, essayer d'être moi-même. Je prends un instant pour réfléchir, indécise. Mes doigts effleurent les tissus, les textures, les couleurs. Chaque vêtement représente une part de ce que je veux être ce soir.
Je laisse mes pensées vagabonder un instant. Je m'abandonne à cette contemplation méditative. Puis, après quelques secondes, je me décide. Une robe en soie bleu marine. Elle est simple mais élégante. Elle se dessine parfaitement sur mes formes, sans ostentation. Une simplicité qui me plaît, qui me rassure aussi. Il y a quelque chose dans cette tenue qui semble en adéquation avec mon humeur du moment. Oui, je me surprends carrément à prendre du plaisir à choisir mes vêtements. Je me surprends carrément à être attentive à ce que je porte. Je suis là, à contempler les tissus, à choisir, à essayer de me convaincre que je mérite cette attention.
Je fais un dernier détour devant les grands miroirs qui ornent les murs du dressing. Le reflet qui me fait face me paraît presque nouveau. Ce n'est plus tout à fait moi. C'est une version qui prend soin d'elle, qui s'habille pour l'occasion, qui cherche à correspondre à une image élaborée.
Peut-être que ce soir, je serai encore un peu plus proche de cette version idéale de moi-même. Mais je suis bien consciente que tout cela est fragile, que cette façade est encore instable. La seule chose dont je sois sûre, c'est que ce n'est qu'une étape, un passage. Dans quelques mois, tout sera peut-être différent.
Mais pour l'heure, je suis prête. Et c'est déjà un bon début.
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Many Love - Saison 1
Romance⚠️ Bad boy en vue, vous êtes prévenus La médecine ? Plus qu'un rêve, une évidence. Les études. Voilà ce qui compte aux yeux de Manon Desfleur. Il y a deux ans, cette jeune française a rejoint les États-Unis pour décrocher son diplôme. Déterminée...