Chapitre 9

84 8 8
                                    

Certes, il aurait préféré un rendez-vous en bonne et due forme mais il devrait se contenter de ce qu'il vivait, là, maintenant. Compressé entre les voyageurs du tramway, il arrivait presque à regretter sa condition. Presque car Scarlett, qui s'occupait d'un groupe d'élèves, lui dédiait à chaque fois un de ses magnifiques sourires quand celui-ci se tournait vers elle. Il la cherchait des yeux, ouvertement, sans ressentir une once de gêne et il aurait pris un malin plaisir à continuer à la contempler quand elle lui fit comprendre qu'il était un adulte responsable d'une quinzaine d'enfants. Honteux, il baissa la tête, compta ses brebis comme un berger peut le faire et fut heureux d'arriver au nombre juste.

Étrangement, son groupe ne contenait que des fillettes qui le regardaient, lui, comme s'il eut pu être leur Prince Charmant. Au secours Scarlett, voulut-il crier mais il retint son cri de désespoir. Ce n'était que des enfants quand même ! Il devait être capable de s'en sortir bien qu'il pense que s'occuper d'une horde de chiens devait être plus simple. Parce qu'au moins les canidés ne parlent pas, ne l'observent pas aussi minutieusement et ne nichent pas leurs pattes dans sa main ! Car il la sentait cette petite main chaude qui venait de s'emparer de la sienne comme si c'était sa propriété. Etait-il en droit de réclamer son dû, de hausser la voix pour cela ? Il jeta un coup d'œil à la jeune enseignante qui discutait jovialement avec sa bande exclusivement masculine. Personne ne lui tenait la main à elle ! Embarrassé, il regarda la fillette téméraire, idée qu'il n'avait pas encore eue. Haute comme trois pommes, des couettes blondes, une robe à l'effigie de la Princesse des Neiges. Comment pouvait-il se mesurer à cela ? Il aurait été un monstre de lui demander d'enlever sa main et puis, il avait une peur bleue qu'elle se mette à pleurer devant tout le monde et qu'on le regarde comme si c'était un adulte odieux.

— Tu es beau, lui avoua la fillette quand elle croisa le regard d'Alec, heureuse d'utiliser un mot de son vocabulaire, appris peu de temps auparavant. Le jeune homme fut gêné. Il savait que les enfants pensaient à voix haute, sans filtre, mais il pensait aussi que ceux-ci n'oseraient rien dire sur lui. Il essayait autant que possible de mettre une distance entre eux et lui.

— Euh... Merci ? Il aurait préféré sortir avec une classe de collège. Il aurait fait la police et non pas joué le Prince Charmant de ces demoiselles.

— Tu t'appelles comment ? Une quinzaine d'yeux se posa alors sur lui, vivement intéressée par la réponse. Tout le wagon aurait pu le dévisager qu'il n'aurait pu se sentir aussi mis à nu, aussi embarrassé.

— Alec.

Un grand gaillard comme lui, être en position de faiblesse ! Il s'était rarement senti à l'aise entouré d'enfants parce que ceux-ci expriment leur pensée sans réfléchir. A cet âge, le Surmoi, cet être présent en toute personne adulte, cette instance de régulation et d'interdiction des pulsions et construit par l'intériorisation des interdits parentaux et sociétaux, n'était pas encore formé. A l'inverse, le Surmoi d'Alec était très présent et le poussait à se sentir honteux.

— Tu as quel âge ? Demanda une petite fille brune qui s'accrochait à sa veste, ne pouvant plus atteindre la barre car un monsieur lui en coupait l'accès.

— Vingt-six ans.

— C'est grand ! S'exclama une petite voix. Notre maîtresse a vingt-quatre ans.

Une idée germa dans l'esprit d'Alec mais il ne put savoir si elle était condamnable. Pouvait-il continuer cette conversation pour en savoir plus sur Scarlett ou serait-ce tricher que de soutirer des informations de cette manière ?

— Mon plus grand frère, il a seize ans ! Ajouta la petite fille blonde qui tenait la main d'Alec fermement comme si c'était un précieux joyau dont elle ne voulait se séparer.

Promis, demain je te quitteraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant