Alec avait pris son courage à deux mains et avait proposé à Scarlett de sortir en ville en sa compagnie. Il se rappelait encore Ses mains moites, la sueur qui perlait à son front et de son cœur qui menaçait de sortir de sa cage thoracique quand il lui avait demandé ce rendez-vous, sur leur lieu de travail, après s'être embrassés à en perdre haleine dans les vestiaires des cantiniers, à l'abri des regards. Leurs actions étaient répréhensibles, condamnables par le code du travail mais n'étaient-ce pas des législateurs n'ayant jamais connu les passions de l'amour qui avaient écrit ces lois ? Alec était certain que si ceux-ci avaient été un tant soit peu expérimentés dans ce domaine, une telle règle interdisant de flirter sur le lieu de travail n'aurait pu être créée.
Devant sa glace, occupé à se raser, il pensait à sa façon d'agir. Avant qu'il ne fasse la connaissance de Scarlett, jamais il ne s'était conduit ainsi, telle un faon effarouché face à un chasseur. Où était donc passée sa confiance en lui, sa virilité qui devait l'empêcher de se sentir tout drôle quand il croisait le regard vert de la femme qu'il aimait ? Les livres qu'il avait lus, présentant des hommes toujours maîtres d'eux-mêmes se pourraient-ils qu'ils ne soient que mensonges ? D'ailleurs est-ce que le beau sexe ne s'attendait pas toujours à voir en l'homme, un être que rien ne perturbe ? C'est ainsi que tout en retirant la mousse à raser, Alec réfléchissait au fait que, à force d'avoir voulu montrer l'homme comme supérieur, on lui avait ôté tout sentiment, toute humanité, le rendant servile à une image à laquelle il ne correspondait pas. L'homme était aussi sensible que la femme, voulait se risquer à dire Alec à son reflet comme pour se rassurer mais la boule nerveuse qui s'était formée dans son ventre ne disparaissait pas.
Il aurait eu un ami masculin, le jeune homme se serait épanché, aurait révélé ses troubles et demandé des conseils. Peut-être aurait-il été gentiment moqué de se faire autant de tracas pour une femme qui semblait l'apprécier. Mais voilà, cela faisait longtemps qu'aucune présence masculine n'était dans les parages. Il n'y avait que Junior, le chien qui aurait pu faire office d'ami sans -e et comme ce dernier ne pouvait se contenter que d'un jappement incompréhensible – qui semblait plus demander un second bol de croquettes qu'être en soit une véritable parole de réconfort – Alec ne tentait même plus de lui raconter le moindre de ses doutes. Et, pourtant, il ne tenait qu'à lui de rencontrer d'autres personnes de son sexe. Il lui aurait suffi de s'inscrire dans un club de football, de surfer sur les forums des jeux vidéo ou plus simplement de descendre dans la rue pour créer de belles amitiés, partager une bière devant la télévision ou un footing le matin alors pourquoi gardait-il ses distances ? Pourquoi ne pas ouvrir ses horizons ? Et la réponse était toujours la même : la peur de l'inconnu. Peut-être aussi la peur de se dévoiler, de parler de son passé dont il était loin d'être fier. Il avait peur de lire dans les yeux des gens l'envie de le fuir, le besoin viscéral de se sentir à des kilomètres de l'homme qu'il était.
L'aboiement joyeux de Junior qui se frottait aux poils du tapis de la salle de bain le sortit de sa torpeur. Quand il n'eut plus aucune trace de mousse, il se rinça le visage à l'eau énergiquement, comme s'il voulait polir ce visage tourmenté. En vérité, ce qu'il aurait voulu, c'est que l'eau nettoie ses plaies, balaie ses démons qui refaisaient surface quand il ne s'y attendait pas et lui rende sa joie, son insouciance de jeunesse. Seulement si l'eau avait un tel pouvoir – celui de réparer les vivants – plus aucune tristesse ne pourrait exister, plus aucune vie non plus puisque celle-ci est intimement liée à la première. Non l'eau restait de l'eau et heureusement car pour ce qu'elle était déjà, simple liquide, elle créait guerres et ravages.
Alec s'essuya le visage puis sortit de la salle de bain, suivi de Junior, présence perceptible au seul bruit que ses griffes longues faisaient contre le carrelage. De sa commode de chambre, le jeune homme prit une chemise blanche et un pantalon noir simple dont il s'habilla prestement comme s'il était en retard, ce qu'il n'était pas absolument pas, ayant pris soin de commencer sa toilette en avance pour ne pas faire attendre Scarlett. Puis, une fois vêtu, il s'observa dans le miroir, chose inhabituelle lui qui avait l'habitude d'éviter son reflet. Pour la jeune femme avec qui il sortait, il voulait bien faire une exception.
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Promis, demain je te quitterai
RomanceScarlett, jeune enseignante dans une école primaire de la ville de Lyon, apprend qu'elle souffre d'une maladie grave, curable dans 40% des cas. Et si elle faisait partie de ces 60%, si elle était condamnée ? Sa mission ? Faire le moins de dégâts...