Chapitre 13

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Il avait raccompagné la jeune femme jusqu'à chez elle mais l'avait laissée monter seule. Et le pire c'est qu'il n'avait ressenti aucun regret ou remord quand il lui avait tourné le dos pour reprendre son chemin. Mais maintenant, après réflexion, il se sentait comme le plus idiot des hommes d'avoir laissé s'envoler cette occasion pour un simple souvenir. Pour un simple homme de son passé. Il aurait dû agir comme si rien ne s'était déroulé, comme s'il n'avait pas reçu un violent rappel de ces dernières années mais au lieu de ça, il avait préféré fuir, échapper aux questions de Scarlett qu'elle n'aurait sûrement pas posées car trop compréhensive. Comme il l'avait fait cette nuit où l'enseignante et lui s'étaient embrassés à perdre haleine. Comme il le referait certainement s'il n'apprenait pas à être un peu moins couard.

Mué dans son silence, Alec songeait à ce qui avait été le plus difficile durant cette soirée : faire face à cet homme qui représentait un pan de sa vie qu'il aurait aimé oublier ou apercevoir cette lueur de tristesse dans les yeux de la jeune femme quand il lui avait déclaré que ses plans avaient changé. La combinaison des deux le bouleversait. En une nuit, il avait dû affronter son passé, son présent et son futur. Et, même pour un homme de la trempe d'Alec, c'était un combat excessivement dur à mener.

Alors, il fit ce qu'il trouva être la réaction la plus naturelle des hommes : il pleura, silencieusement, sa tête dans les mains. Il versa des larmes qui ne s'étaient jamais déversées et qui avaient été trop longtemps refoulées. Jamais durant son séjour en prison, il n'avait fait preuve d'une telle 'faiblesse' devant les autres détenus. Pour ces derniers, il avait toujours été un jeune homme un peu renfermé mais maître de lui et de ses émotions. Jamais il ne s'était plaint ou n'avait élevé la voix. Il avait préféré se cacher derrière un masque de glace comme il l'avait toujours fait en société, pensant qu'en devenant invisible on l'accepterait à nouveau.

Alec se rendait compte que le plus dur n'avait pas été de construire sa personnalité sur un mensonge mais de devoir vivre avec cette fausse représentation de lui-même au quotidien.

*

La jeune femme avait attendu vendredi avec impatience, le jour de la semaine qu'elle chérissait maintenant le plus. Chaque vendredi, Alec s'occupait de la restauration des classes élémentaires et ils avaient donc le moyen de se voir sans éveiller les soupçons, de se frôler sans jamais vraiment se toucher, de communiquer sans pour autant parler. Aussi, vendredi arrivant, Scarlett se leva de bonne humeur, toute rancœur pour le jeune homme disparue de son cœur.

Quand Alec l'avait déposée devant chez elle et qu'il avait refusé de monter, elle avait senti les larmes poindre aux creux de ses yeux et une vague sensation de suffocation s'emparer d'elle. Ardemment, elle avait essayé de ne pas dévisager une nouvelle fois le visage de l'homme qui l'avait mise dans un tel état mais, elle n'avait finalement pas pu s'en empêcher et ce qu'elle avait vu l'avait troublée. Une toute autre personne qu'elle n'aurait pu lire l'immense tristesse qui s'était dessinée sur ce faciès, ni décrypter ce mélange de colère et de peur qu'Alec s'était efforcé de masquer. Et cette rage, elle le savait, n'était en aucun cas dirigée vers elle mais, plutôt vers lui et, elle avait alors compris que l'homme qu'elle commençait à aimer se détestait. Comment une telle brisure pouvait-elle naître en cette personne qui semblait pourtant respirer l'assurance ? Que s'était-il passé pour que celui-ci ait une telle aversion de ce qu'il était ? Telles étaient les questions que la jeune institutrice avait remuées toute la soirée et les jours qui suivirent et l'absence d'Alec les nourrissait. Mais aujourd'hui était vendredi et elle le verrait. Elle ne cherchait pas forcément des réponses – elle n'aurait pas voulu confronter le cantinier à un pan de sa vie qu'il refoulait avec tant de force – mais elle désirait au moins un regard. Si elle était chanceuse, un sourire, un baiser, rien qu'une petite attention qui dirait « tu existes à mes yeux ». Car, sans l'autre, il n'y a aucune existence possible. Nous ne pouvons vivre que pour nous-même.

Promis, demain je te quitteraiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant