Regards bas et ternes âmes. Soleil gris. L'assemblée du village se tenait cet après-midi là sous un ciel inodore, lourd d'humidité. Un vent de fin avril soulevait le feuillage qui tachetait d'ombres la place de l'église, ainsi que les vieilles capes des hommes amassés au pied de l'édifice. Les cloches venaient d'appeler ces messieurs à la réunion mensuelle. Ils avaient dressé les tables. Fabrice sortait le vin qu'ils boiraient en soumettant à débat actualités et affaires communales, tandis que femmes et enfants s'occupaient aux foyers. Le père et chef Pelliaron détaillait l'ordre du jour en un rituel appliqué dans lequel il se complaisait tel un gros coq en son fief. Il prenait quelques avis ça et là sur des questions administratives, puis tranchait après des discussions plus ou moins longues. Aujourd'hui cependant, Monsieur Torrès et ses voisins n'attendaient qu'une chose : le compte rendu de la dernière foire. Une belle part de la gent masculine s'était, la veille, déplacée à la ville pour l'événement de taille. Il s'agissait désormais d'en établir le résumé devant l'ensemble du bourg, notamment devant les anciens, trop faibles pour le voyage et le commerce.
Les paysans de retour de l'expédition ne témoignaient pas de l'entrain qui marquait d'ordinaire les jours suivant la foire. Leur morosité ne venait pas du temps triste qui par à-coups avait arrosé les étals : malgré la pluie, les transactions et les bestiaux achetés satisfaisaient les campagnards. Ils s'étaient offert un passage chez le barbier, saoulés à la taverne, réjouis devant les histrions et montreurs de curiosités. Une terrible nouvelle assombrissait les messagers, même à l'heure des bonnes affaires. Autour d'eux, les hommes guettaient leur intervention avec une feinte lueur d'espoir au fond de leur anxiété. Néanmoins personne ne se montrait dupe : on broyait le sol du bout du pied, on attendait que les craintes soient validées. Ou infirmées, mais il ne fallait pas trop se bercer d'illusions. Sous la baguette du maître de cérémonie, qui lui aussi repoussait presque le sujet, la conversation arriva enfin au plus intéressant.
– On s'est vu confirmer, à la ville, les méchantes rumeurs qui traînent depuis plusieurs semaines. Monbrina nous a déclaré la guerre.
– Quoi ? s'exclamèrent quelques-uns en frappant des coups nerveux sur la table.
– Ouais. Semble qu'Der Ragascorn, y veut d'nouveau agrandir son territoire.
– Encore ! Il avait pas assez de Hô-Yo, Lôdmé, Zakros et l'Mornoy, qu'y s'en prend à Iswyliz ! Mais où qu'y s'arrêtera ? s'emporta un vieillard.
– Vraiment, t'es bien certain que c'est pas qu'un vilain racontar de mauvais augure ? relança un fermier abasourdi, aux traits que la panique déformait.
– Non. Point de doute. Not'roi se charge d'jà d'rassembler et d'équiper l'armée. Des recruteurs commencent à tourner dans les bourgs et les cités.
– Une invasion, Jésus, Marie, Joseph...
– Oh, les villages seront pas forcément touchés, nota Monsieur Torrès, essayant de rester lucide et de calmer la montée de l'anxiété collective.
– B'en moi, j'ai peur ! On risque bien d'avoir droit à un appel au combat.
– En plus, 'vec la capitale pas loin, Hordd peut quand même être dans les premiers lieux à morfler, si on est envahis, soupira un voisin au ton tremblant.
– Baste ! Non ! On va les accueillir comme y se doit, les chiens !
– Hum... Après tout, à ce qu'on dit, le souverain de Monbrina, c'est y pas un mauvais dirigeant, intervint un jeune métayer. Ça changerait-y donc pas grand-chose pour nous, sans doute. Ce serait si grave d'être annexés ?
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Delenda Carthago Est ~ I. Infâmes
Fantasía"Toi qui es tout, crains qui n'est rien." 1605. Le royaume de Monbrina est au sommet de sa gloire, mais en pleine Révolution Copernicienne, trois monstres vont le menacer. Jérémie, l'esclave surdoué, mystérieusement instruit en vue d'étranges dessei...