Au milieu d'un cercle de spectateurs allègres, un énergumène tournoyait sur ses roues alertes et grattait énergiquement les cordes de sa lyre. Il chantait de coquines ballades, lançait aux quatre vents ses gestes comiques.
Sa morphologie retenait l'attention de celui qui le découvrait autant que son activité enflammée. Ses quatre membres grotesques et raidis, les uns tordus, les autres atrophiés, obligeaient sa corpulente personne à reposer sur un large fauteuil. Un ventre rebondi se déployait au pied de sa colonne vertébrale en virage, dont il accentuait la courbure. Cette espèce de créature baroque révulsait son public mais se rachetait en l'amusant bien davantage, par ces divertissements qui se délectent jusqu'à l'ivresse de ce qu'il y a de plus bizarre. Peut-être parce que cet infirme – véritable reflet de miroir déformant, pourtant bien en chair et en os – proposait à l'imagination un jeu original : que voyez-vous ? Quel animal vous évoque cette main contractée, qui termine un large bras bouffi ? Et cette autre crochue, à moitié retournée vers l'intérieur ? Ce pied gonflé ? Le mollet arqué de cette jambe plus courte que sa voisine ? À quel gnome, à quelle énigme avons-nous affaire là ? Le musicien était une farce vivante.
Derrière des bésicles chaussées sur un nez tors et écrasé, ses petites billes marron jouaient également. Celles-ci roulaient, dansaient, sautaient, aussi rieuses que les individus desquels elles renvoyaient les regards. La couleur de ces pupilles les mariait au bouc qui ornait le menton de l'invalide, assorti à sa chevelure courte, follement ébouriffée. Au moins une harmonie au milieu de ce joyeux chaos. La tête ronde de l'homme affichait une mine badine, même lumineuse. Elle possédait Diable-sait-quoi d'étonnamment charmeur, dans ses yeux brillants comme dans son large sourire pourtant confus : égal au reste du corps, la moitié des dents ayant pris des libertés. Certaines manquaient à l'appel, tandis que les restantes étaient hideusement pointues et tordues. Dents de l'amer, ultime plaisanterie d'un créateur ivre ou rageur.
Quand le pâle voleur se joignit à l'assistance, le baladin lui jeta un clin d'œil, avant de lancer à l'auditoire sur un ton mielleux où suintait une ironie corrosive :
– C'est paraît-il jour de liesses en l'honneur du bon souverain ? Allons ! Si vous le permettez, il faut donc que moi aussi je chante louange au Grand Roi...
Depuis trois ans qu'il gagnait son pain en chantant par les chemins, l'histrion s'était construit une petite notoriété dans la ville. On aimait écouter cet excentrique troubadour, drôle, radieux et captivant dans sa disgrâce. L'homme variait les plaisirs : il préférait certains jours des numéros plus comiques ou théâtraux, qui rencontraient également un franc succès. Mais il offrit cette fois-ci une représentation lyrique.
Ce bricolage humain était une fête des fous à lui seul, habité par une excitation telle que sa raison ne devait pas être l'unique maître à bord. Le troubadour se mit à jongler de sa voix. Avec une habile légèreté, bouts-rimés, vocalises, variations colorées s'envolaient dans les airs. Son corps entier le secondait en cette danse : la lyre tenue entre ses cuisses, sa pince tordue chatouillait les cordes et s'y promenait allègrement ; sa main gonflée battait la mesure, suivie de sa tête, ou faisait effectuer des figures à sa chaise, avançant, passant d'une roue sur l'autre, tournant, reculant, tournant encore... Accompagné au refrain par l'auditoire gai et complice, il chantait :
Divin Bacchus et toi, Diogène !
Que vos jarres inspirent à Silène*
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Delenda Carthago Est ~ I. Infâmes
Fantasía"Toi qui es tout, crains qui n'est rien." 1605. Le royaume de Monbrina est au sommet de sa gloire, mais en pleine Révolution Copernicienne, trois monstres vont le menacer. Jérémie, l'esclave surdoué, mystérieusement instruit en vue d'étranges dessei...