Chapitre II. Guerre contre Monbrina ~ section 3/4

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Guidé par les cris, Jérémie déboucha sur la Grand' Place et se raidit d'effroi.


– Alice ! s'exclama-t-il.


La fureur l'envahit : son aimée sanglotait, hurlait, se débattait entre les serres de trois ennemis aussi chancelants que cramoisis. Des bouteilles de vin vidées gisaient à coté du petit groupe. Deux brutaux plaquaient Alice au sol. Le dernier, rouge, couvert de sueur et la verge raide, plongeait sous sa jupe en des gestes agités et maladroits. Donnant de rudes assauts entre ses jambes ouvertes, les yeux exorbités posés sur ses pairs, il ricanait d'une voix graveleuse :


– L'est bonne ! Servez-vous aussi, avant ceux qui l'achèteront, hé !


L'esprit déjà emmêlé dans l'horreur, Jérémie ne réfléchit cette fois-ci plus du tout. Sa colère le jeta sur le groupe. Il poussa le troisième militaire sur le côté et lui envoya un coup de fourche en plein buste. L'homme s'étala et rugit. Surpris, ses acolytes lâchèrent leur victime. La demoiselle tout juste consciente en profita pour s'enfuir et les combattants ripostèrent. Ils fusèrent contre le garçon, qui se défendait au mieux de sa pauvre arme. Acharné, il ne songeait pas aux risques encourus. Ni au fait qu'il n'avait tout simplement aucune chance. Il ne fallut que peu de temps aux guerriers, équipés de lames et de gants métalliques, pour dompter le jeune attaquant qui roula à terre. Ils l'attrapèrent, l'immobilisèrent, le jetèrent au sol.


– Chien ! On va te faire regretter... Allez-tiens !


Leurs pieds cloutés lui blessèrent le ventre, la figure, lui déchiquetèrent le dos, et les lèvres dont un morceau pendit. Ils firent pousser à la victime des râles encombrés par le sang qui remontait dans sa gorge. De fines traînées rouges giclaient à terre.


– Déguste, pauvre chiure !

De violentes nausées secouèrent le prisonnier paniqué et incapable de respirer. Il haletait furieusement, s'étouffait. Tout se brouillait à ses yeux et en son crâne sonné.


– Tu vas voir un peu, saloperie...


L'adolescent fut maintenu à genoux, bras en arrière. Le soldat au buste écorché le saisit par les cheveux, d'une force à lui en arracher, l'obligeant à crier et à lever sa tête inondée de larmes. À ses oreilles revint alors l'écho tremblant des râles d'Alice. Non... Non ! Ce n'était pas elle. Son esprit lui jouait des tours. Elle avait pu s'enfuir. Pourtant, ses pleurs se faisaient terriblement proches. Bien trop réels. Et certains hommes d'armes riaient, tandis que d'autres se grommelaient des paroles que Jérémie préférait ne pas saisir. Les lamentations en trémolos de la paysanne persistaient. Une vague de chaleur parcourut son ami, avant de céder la place à un frisson de mort qui lui darda l'échine lorsque, ouvrant au mieux ses yeux éclatés, il la vit, bien là, immobilisée par les griffes de vautours qui étaient parvenus à la rattraper.


Le fils Torrès n'eut pas le temps de la moindre prière. Il se tétanisa, son visage perdit ses ultimes couleurs en même temps que celui d'Alice, après le sinistre tintement d'un couperet tranchant l'air et les chairs. S'ensuivirent deux interminables secondes suspendues. Jérémie ne comprit pleinement qu'à l'odeur du sang chaud, à la vue de l'adolescente s'affaissant à terre, aux gargouillis échappés de sa bouche et sa poitrine ouvertes. Tout s'assourdit. S'écroula durant un instant. Ne résonna plus qu'un long hurlement écorché dans lequel le paysan vida sa colère contre lui-même autant que contre la boucherie insensée. Il réagit à peine lorsque le militaire qui le tenait toujours par ses cheveux mêlés de croûtes tira son épée et la plaça contre sa gorge offerte. À moitié conscient, le captif grinça des dents quand le fer pressa son cou.

Delenda Carthago Est ~ I. InfâmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant