5. Entretiens

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Une bonne odeur de café et pain grillé m'accueille lorsque je pousse la porte de mon petit studio. Sean est debout, métamorphosé. Il porte un complet gris anthracite impeccablement taillé, à la fibre irréprochable. Il a dompté sa chevelure rousse et il semblerait même qu'il ait taillé sa barbe. Fier de lui, une tasse de café à la main, il s'écarte de mon bar puis écarte les bras et tourne sur lui-même afin que je puisse admirer son allure.

— Alors ? Tu meurs d'envie de m'embaucher non ? me déclare-t-il avec toute l'aisance d'un commercial.

— Je constate surtout que tu portes le costume que je voulais mettre pour mon déjeuner d'affaires.

Le sourire s'efface de son visage et laisse place à du remord. Dépité il soupire et me jette un regard désolé. Je patiente encore un instant puis m'avance vers lui, pique sa tasse et bois une gorgée de cette drogue noire avant de le rassurer.

— J'en ai un autre ne t'en fais pas.

— Ouf, tu me rassures, j'ai cru que j'allais devoir me changer. Déjà que le mettre fut une corvée.

Sean et moi avons grandi ensemble. Nous nous sommes cognés dessus lors de notre première rentrée des classes puis sommes devenus inséparables. Nous avons subi tous les vices de nos « camarades » ensemble, fui la réalité dans les ordinateurs ensemble et sommes devenus des « barbus chevelus » ensemble. Je ne serais pas devenu l'homme que je suis aujourd'hui sans lui. Sean est de ces personnes qui vous marquent et changent votre vie. Plus les autres le repoussaient plus il s'ouvrait à eux et leur donnait tout ce qu'il était possible d'offrir. La démocratisation d'internet nous a tous les deux sauvés. Si je me suis plongé dans les algorithmes et les systèmes complexes Sean lui est resté fidèle à lui-même et s'est tourné vers les réseaux sociaux. Il est partout et son blog d'actualités technologiques et de vulgarisation de l'informatique est l'un des plus suivis du pays. Bon dans la vraie vie il passe toujours pour un looser, idem pour moi, mais sur internet c'est une référence.

— Bon alors, continue mon ami, comment s'appelle-t-elle ?

Je hausse les épaules et plonge mon regard vers une tartine de beurre.

— Je ne vois pas de quoi tu parles...

— Allez, on passe une nuit blanche à pisser du code, on a pas fini d'ailleurs, et toi tu te lèves pour te rendre à un cours optionnel. Soit t'es un abruti soit t'as rencontré une fille.

Il a gagné, je confesse, j'y suis allé dans l'espoir de croiser la fille que j'avais rencontré quelques nuits plus tôt.

— Et alors ?

— Elle était bien là... Avec deux de ses amies dont la plus grande reloue que je n'ai jamais vue. Liz...

— Et... Qu'est-ce que tu as fait ?

— Je... J'ai été assez malin pour l'inviter à boire un verre.

Sean éclate de rire. Je lui jette ma tartine et fuis sous la douche. Même la puissance ne couvre pas le son de sa joie.

— Mec, me dit-il à travers la porte, un café, la journée tu l'invites à boire un café, sinon ça fait alcoolo de base. Elle a refusé j'imagine.

En effet, elle a refusé, mais je souris largement à ma pomme de douche, j'ai son numéro, et presque une chance. Lorsque je ressors de la douche, Sean est toujours là. Il tripote sa barbe rousse d'une main et son smartphone de l'autre.

— Tu twittes quoi au monde ?

— Que le grand et mystérieux James Wood a enfin un rencard.

— Pitié ne fait pas cela, j'ai un déjeuner d'affaires ce midi, je n'ai pas besoin que mon téléphone m'envoie des notifications toutes les vingt secondes. J'aime ma discrétion.

— Oh, c'est vrai, c'est pour ça qu'il te faut un costume, réalise soudain Sean, grand cerveau qu'il est.

J'acquiesce puis je le vire de chez moi. C'est mon pote mais il a un forum de recrutement à zoner et moi un déjeuner d'affaires à préparer. Et ça commence par la recherche d'un calbute.

JamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant