4. Jeux de dupes

3.7K 414 10
                                    

La pouf garde miss 42 tournée vers elle, de sorte qu'aucune de trois ne m'adresse plus la parole de tout le cours. Exception faite de la pouf qui me targue d'un « Te savoir constamment les yeux rivés sur nous est assez dérangeant, tu ne voudrais pas aller voir ailleurs si nous y sommes ? ». Non je n'en ai pas envie. Qui plus est le cours commence et j'aimerais bien le suivre. Ces options facultatives me sont très chères. Elles me bouffent temps et énergie mais elles en valent la peine.

Miss 42 a eu le bon goût d'éteindre son usine à gaz. Le cours est à la fois barbant et très instructif. L'économie a des subtilités que seuls ceux qui ont l'entreprenariat dans le sang peuvent comprendre. Je lutte pour suivre, mon attention se porte plus sur la miss qui prend des notes à toute allure que sur l'enseignant qui raconte des pans de sa vie en entreprise cotée en bourse. Les courbes formées par les mots qu'elle trace me rappellent les subtilités de son corps tout en finesse. Chaque ligne, chaque trait est sûr, signe d'une main maîtrisée.

— T'en as pas marre de nous mater ? me murmure sèchement ma nouvelle meilleure amie, Liz si ma mémoire ne me fait pas défaut, alors qu'elle se retourne une nouvelle fois.

— Ne t'inquiète pas, Lizzie, tu n'es nullement attirante. Je n'ai aucune envie de salir mes yeux en te regardant.

— Je t'interdis de m'appeler Lizzie !

— Ce n'est pas bientôt fini les deux tourtereaux ?

Le prof et maintenant tout l'amphithéâtre nous observent. Liz devient aussi rouge qu'une tomate et se confond en excuses. Elle en tremble de honte. La crainte d'être exclu m'empêche de lui glisser une petite moquerie mais l'échéance n'est que repoussée.

Le cours reprend son fil ennuyeux mais la vue est toujours dégagée. Note pour plus tard : ne jamais plus l'avoir dans mon champ de vision, elle me perturbe trop.

Arrive finalement la fin du cours, l'homme en bas nous recommande une série de lectures familière. Ces grands ouvrages trônent dans l'unique bibliothèque de mon studio. D'un coup la grande pièce se remplit de bruits et de conversations. Comme si la vie avait brusquement repris ses droits après le passage d'un prédateur.

Je file sans demander mon reste et gagne la sortie le plus rapidement possible, toute cette foule me donne le tournis, il me faut de l'air. L'immense campus est toujours noyé dans le brouillard, cet effet climatique assomme tout et tous. Il est pesant, poisseux, c'était comme si des dizaines de fantômes se collaient à moi et s'infiltraient dans mes poumons. Il faut que je parte d'ici, vite.

— James !

Miss 42 déboule dans mon champ de vision, un sourire sur ses lèvres roses et les joues rougies par le froid. Tiens, je n'avais pas remarqué les perles qui ornent ses oreilles. Cela lui donne un côté fille de bonne famille.

— J'ai eu peur que tu sois déjà parti, je rangeais mon tracteur, désolée.

Le souvenir de la remarque de Liz suite à nos présentations s'impose à mon esprit, je ne sais pas en quels termes miss 42 a parlé de moi à son amie mais j'ai comme l'impression que cela vaut mieux.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Le ton est un peu dur mais je gèle et je n'ai qu'une envie : rentrer.

— Je, je voulais simplement m'excuser pour le comportement de Liz. Elle n'est pas aussi rustre d'habitude, elle vit une période difficile en ce moment. Habituellement c'est un ange tu sais ? Enfin voilà...

A tous les coups la Liz s'est faite larguée par son copain. Mes respects au gars qui a eu le cran de sortir avec.

— Tu te balades souvent avec ton tracteur ?

Je change complètement de sujet, je n'ai pas vraiment envie d'entendre la vie de Liz et miss 42 semble comprendre l'acceptation muette de ses excuses.

— Ah, oui ! Mon ordinateur est un peu vieillot, mais il fonctionne toujours, c'est l'essentiel.

— Tu ne songes pas à le changer ?

Miss 42 me dédie un petit sourire honteux et me répond que c'est dans ses plans, dès que ses finances le lui permettront.

— Bon, je dois te laisser, il faut que j'aille travailler.

— Tu bosses où ?

— Fords & sons, ce sont des avocats.

— Droits des sociétés non ?

— Oh tu connais ?

« Ce sont mes avocats chérie » ai-je envie de répondre mais je doute qu'elle me croit. Je n'ai pas l'allure du mec qui a besoin de spécialistes en droits des sociétés... Si elle savait.

Miss 42 me précise qu'elle fait de l'analyse pour eux, rien de juridique mais cela lui permet d'en apprendre plus sur les entreprises et leur fonctionnement.

— J'aimerais créer mon cabinet d'audit, me confie-t-elle, alors j'engrange autant d'expérience que possible. Et puis cela me permettra un jour de changer mon tracteur.

— Mais sans ton tracteur les cours seront nettement moins drôles....

Elle me dédie un dernier sourire puis me salue et fait un pas vers l'arrêt de bus le plus proche mais je la retiens. Cette fille me plaît. Je n'ai qu'une envie, poser mes lèvres sur les siennes et apprécier leur douceur.

— Tu finis à quelle heure ? On prend un verre ce soir ?

— Je finis tard ce soir, désolée.

James le clochard, le retour.

— Mais on peut s'échanger nos numéros si tu veux. Liz sera furieuse si elle l'apprend mais comme cela nous pourrons prendre ce verre...

Mon iPhone est déjà sorti de ma poche.


JamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant