6 - Un échange éclairant

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Après le repas, tous les convives s'étaient égayés, seuls ou en petits groupes selon leurs affinités. Hadria se retrouva un peu perdue : après sa dernière remarque, Jordans n'avait communiqué avec elle que par monosyllabes. La conversation du comte d'Harmont était certes agréable, mais d'une courtoise superficialité. La jeune femme n'avait qu'une envie, s'isoler quelques instants pour mettre ses idées en ordre, en particulier après cette étrange discussion avec l'érudit au monocle. Connaissait-il quelqu'un qui avait tenté d'applique cette théorie sur des humains ?

Après tout ce qu'elle avait pu voir, Hadria ne pouvait plus douter de l'existence d'horreurs cachées dans le monde surnaturel... surtout depuis la sinistre affaire dans le quartier chinois de Londres. En rependant à ces moments angoissants - ce qu'elle s'efforçait de faire le moins souvent possible -, elle sentit un frisson lui parcourir le dos. Il n'en était pas ressorti, cependant, que des conséquences négatives : les murs qu'Ashley avait soigneusement érigés autour de lui s'étaient un peu effrités, dévoilant un peu de lui-même et créant entre eux un lien – même ténu – qu'il n'avait jamais su établir avec aucun de ses partenaires précédents. Malgré tout, était-il suffisant pour servir de base à quelque chose qui pouvait s'apparenter à... de l'amitié ?

Hadria haussa les épaules : elle devait déjà s'estimer heureuse du respect mutuel qui s'était instauré entre eux. Son partenaire avait appris non seulement à apprécier les dons de la jeune femme, mais surtout à tenir compte des possibilités et des limites de ceux-ci. Mais de son côté, elle en savait toujours aussi peu sur ses capacités de normaliste, au-delà des explications succinctes d'Erasmus Dolovian et d'Ashley lui-même... Elle avait bien tenté de creuser le sujet dans les archives de Spiritus Mundi, mais elle n'avait jamais rien découvert de plus sur ce talent réputé d'une rareté extrême. Il existait, par contre, une littérature abondante sur les psychosensitifs, qui lui avait permis de mieux maîtriser et affiner ses possibilités.

Mais pour le moment, Hadria se sentait un peu désemparée, seule à côté de la table désertée et ne sachant où aller. Autant pour ses compétences mondaines ! Ashley, le prétendu asocial, se trouvait en grande conversation avec ce goujat de Standish. Madame Konstantine lui adressa un long regard d'une noire ironie, avant de s'éloigner en agrippant d'un geste possessif le bras de leur hôte.

En s'apercevant de son trouble, le compte d'Harmont retourna sur ses pas et se dirigea vers elle, avec un regard empli de sollicitude :

« Est-ce que tout va bien, mademoiselle Forbes ? »

Elle lui adressa un sourire forcé :

« Tout va bien, je vous remercie... Je pense que je vais aller prendre un peu l'air dans le parc.

— Me permettrez-vous de vous y accompagner ? »

La jeune Américaine eût préféré rester seule, mais elle ne se sentait pas le courage de refuser ce geste galant. Elle espérait juste que ce barbon n'en profiterait pas pour lui glisser quelques avances déguisées. Au moins pouvait-elle supposer qu'il les présenterait avec courtoisie, ce qui lui permettrait de les repousser de même manière. Elle réalisa à cette occasion qu'elle ne connaissait ni les raisons de sa présence ni sa spécialité : sans doute pourrait-elle le questionner sur ce sujet, avant qu'il ne se lance dans les mondanités à la française qu'elle redoutait d'avance...

« Très volontiers, monsieur le comte... » finit-elle par bafouiller.

Hadria ignorait si cette forme d'adresse était la bonne, mais elle déclencha chez son interlocuteur un éclat de rire spontané :

« Vous n'avez pas besoin d'être aussi formelle, mademoiselle Forbes. Je suis quelqu'un d'assez simple, sauf quand les circonstances le requièrent. Notre ami Ralestone apprécie les formes et je lui en donne pour ne pas le décevoir. »

Spiritus Mundi - II - La Reine des Fées [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant