32 - Une vision nouvelle

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Hadria se retint de tousser et laissa la saveur se frayer un chemin vers son esprit enfiévré. Le décor autour d'elle se brouilla légèrement – ou peut-être était-ce la lueur tremblotante de la lampe à huile qui lui donnait cette illusion. Ou même l'intense fatigue qui l'avait saisie. Au-dehors, la nuit était tombée ; la jeune Américaine ne s'était jamais sentie aussi vulnérable qu'au milieu de ces villageois plus ou moins bien disposés à son égard. La vieille femme possédait visiblement des connaissances impressionnantes, il fallait le reconnaître ; mais cela n'en faisait pas pour autant leur amie. Elle en savait sans doute bien plus au sujet des fées que lord Ralestone – et certainement que McFarlane. Mais les fées demeuraient des maîtresses capricieuses, qui ne se caractérisaient pas par leur tendresse ni par leur bienveillance – certes, elles pouvaient faire preuve de générosité, mais même la cour de lumière pouvait se montrer fantasque...

« Ne vous inquiétez pas, hogen, je ne laisserai rien de mal arriver ni à vous ni à votre hogyn. Nous savons être reconnaissants... et distinguer un cœur noir d'un cœur lumineux. »

Même si elle ne comprenait pas tout, elle ne demandait qu'à croire la femme, mais la méfiance restait la plus forte.

« Je vais vous quitter un moment pour raccompagner Mair et sa famille. Je vous laisse à la garde de votre ami le gŵr doeth... »

Le comte s'inclina légèrement, le regard brillant :

« Je suis touchée que vous voyiez cela en moi, madame.

— Seul un sage reçoit l'amitié des dieux... et sait la garder sans s'en servir à son avantage », répondait la vieille femme malicieusement.

D'Harmont parut surpris, mais, très vite, l'amusement fit place à la perplexité. Hadria se sentait tout à la fois curieuse et impressionnée... mais son côté rationnel prit rapidement le dessus : de quels dieux la femme parlait-elle ? Le terme de « dieu » pouvait désigner bien des choses : des êtres issus d'autres réalités, des notions élémentaires, voire des humains qui s'étaient, d'une façon ou d'une autre, élevés au-dessus de leurs semblables. Mais de par son éducation et ses convictions, même si elle n'adhérait pas toujours aux propos du pasteur de son village, elle conservait une vague croyance en une divinité unique qui transcendait la condition des mortels.

Elle interrogea Ashley du regard, mais le normaliste ne paraissait pas particulièrement surpris : sans doute en savait-il suffisamment sur son allié français pour ne pas trouver inattendues les paroles de la vieille femme. Elle secoua la tête, en se demandant si elle perdrait un jour la désagréable impression de ne connaître que la surface de ce qui l'entourait. Le monde dans lequel elle évoluait semblait constitué de couches après couches de secrets, et elle en avait assez de n'en percevoir qu'une fine partie, comme la peau supérieure d'un oignon.

L'un de deux hommes qui les avaient escortés souleva Mair dans ses bras et l'emporta vers la sortie, suivie de sa famille et de la vieille femme.

Le petit groupe disparut, les laissant seuls dans la chaumière envahie par la fumée de l'âtre et la lueur tremblotante des lampes. Le comte vint s'asseoir auprès d'eux, les deux mains sur le pommeau de sa canne, le regard attentif. Ashley contempla le contenu de son gobelet – qu'il avait à peine touché – avant de demander :

« Quel est ce breuvage, à votre avis ? demanda-t-il au comte.

— Laissez-moi voir... »

Le normaliste lui tendit le gobelet, qu'il huma pensivement :

« Hum... Je dirais qu'il s'agit d'un de ces mélanges qui, à dose raisonnable, ne présentent pas de danger et qui ont pour effet d'ouvrir vos perceptions. Dans votre cas, il n'apportera sans doute pas grand-chose de nouveau... Pour miss Forbes, par contre...

Spiritus Mundi - II - La Reine des Fées [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant