4 - Présentations

70 16 4
                                    


Hadria savait qu'elle était censée participer à un congrès d'ésotériciens ; elle n'aurait pas dû être aussi surprise de se trouver face à une demi-douzaine d'invités, dont l'attention se tourna machinalement vers elle quand elle s'avança dans la pièce.

Les personnes présentes étaient toutes de sexe masculin et d'âge mûr, à l'exception d'une femme très brune aux allures de cartomancienne, revêtue d'une ample robe cramoisie d'un style incertain. Ses longs cheveux noirs se déroulaient presque jusqu'aux chevilles. Elle lança un regard hautain vers Hadria, qui la découragea de la moindre tentative d'approche.

Ashley dut remarquer son inconfort ; se plaçant à côté d'elle, il se racla la gorge pour attirer l'attention et déclara d'une voix étonnement forte et assurée :

« Madame, messieurs, laissez-moi vous présenter miss Hadria Forbes, avec qui j'ai eu le plaisir de voyager depuis Londres. »

La jeune femme afficha un sourire artificiel, en se demandant intérieurement d'où Ashley avait soudain tiré un improbable talent social. Peut-être que pour le bon déroulement de la mission, il était capable de se faire violence. Elle appréciait d'ailleurs la façon habile qu'il avait eu de définir leur « relation » : ni amis ni équipiers... des connaissances de voyage. C'était approprié, mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu déçue par ce qualificatif distant.

Un sentiment qui n'avait pas lieu d'être, cependant.

Sortant de leur réserve, les futurs convives firent mine de se présenter à leur tour. La personnalité qui dominait l'ensemble s'avança le premier :un gentleman d'une soixantaine d'années, dont le visage aux traits élégants était encadré d'une longue chevelure d'un blanc argenté, qui se déversait sur le col de velours d'une veste bleu paon richement brodée.

« Je suis le conte Alexandre d'Harmont, pour vous servir, déclara-t-il en s'inclinant élégamment, d'une voix teintée par un léger accent français. J'ai entendu parler de vos dons : je ne puis que regretter que vous ayez choisi de vous expatrier à Londres plutôt qu'à Paris. C'est avec un grand plaisir que ma nation aurait accueilli quelqu'un d'aussi charmant et talentueux que vous...

— Allons, d'Harmont, intervint son voisin, un rouquin d'une décennie son cadet, dont la barbe fournie et les vêtements de lainage solide auraient mieux convenu à un bûcheron ou un marin qu'au représentant d'une assemblée aussi choisie. Vous savez bien que dans votre nation de cartésiens et de mécréants, cette jeune personne n'aurait pas été appréciée à sa juste valeur.

— Je reconnais en tout votre distinction légendaire, McFarlane, répliqua le comte d'un air amusé. Mais à écouter vos élucubrations, je manque à tous mes devoirs. Miss Forbes, laissez-moi vous présenter une de vos estimées consœurs, madame Héléna Konstantine. »

La femme brune se contenta de hocher la tête, ses prunelles de jais brillant sourdement sous ses paupières lourdement fardées.

Hadria avait rencontré son nom dans divers articles : d'après sa réputation, madame Konstantine pouvait attirer n'importe quel esprit dans son corps et de parler sous sa possession. C'était le type de manifestation que Spiritus Mundi détestait le plus, car il se révélait difficile, dans une discipline qui pouvait laisser une large part au jeu d'acteur, de déterminer ce qui était réel et ce qui relevait de l'imposture. Mais à bien y réfléchir, il en allait de même pour son propre don. Elle avait été soumise à toutes sortes de tests par la fondation avant d'être considérée comme une authentique psycho-sensitive.

Le regard de madame Konstantine pesait toujours sur elle. La jeune Américaine ne put s'empêcher de frémir légèrement sous l'intensité de cet examen : sous sa couche de fard, la médium devait être plus âgée qu'elle ne souhaitait le paraître et la présence d'une intruse qui tutoyait la vingtaine n'avait rien pour lui plaire.

Spiritus Mundi - II - La Reine des Fées [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant