17 - La Reine des Fées

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Ralstone se leva lentement et marcha jusqu'à l'estrade, appuyant sa main sur l'épaule de son invité :

« Merci, mon ami, pour votre magnifique démonstration. Vous avez été remarquable. »

Il fit face à l'assemblée, les bras écartés :

« Ainsi, notre ami Jordans nous a démontré que l'impossible ne l'était pas autant qu'on pouvait le croire. Et si notre inconscient peut créer de telles merveilles...

— Elle peut aussi créer des monstres », acheva une voix distinguée marquée d'une pointe d'accent français.

Coupé dans son effet, le lord posa un regard courroucé sur d'Harmont :

« Certes, monsieur le comte, certes... mais cela prouve l'intérêt de discipliner au mieux sa volonté. Ne souhaiteriez-vous pas rencontrer... »

Il se tourna vers la peinture murale, reprenant toute sa jovialité :

« ... la reine des fées ? Si vous en aviez la possibilité, pas un seul d'entre vous n'hésiterait, n'est-ce pas ? »

Hadria examina la créature représentée sur la peinture : elle était d'une minceur éthérée, dotée de grandes ailes finement innervées, comme d'immenses et délicates feuilles... Ses yeux verts, sous leurs paupières baissées, lui semblèrent soudain bien mystérieux et même... particulièrement malveillants. La sensation de malaise qu'elle avait éprouvé avant la conférence la saisit de nouveau. La jeune femme se sentait faible, nauséeuse... Elle se mit à frissonner de façon incontrôlable.

« Miss Forbes ? Est-ce que tout va bien ? »

La voix inquiète du comte, qui se tenait à ses côtés, traversa à peine le malaise dans lequel elle se sentait plongée. D'où cette sensation pouvait-elle bien venir ? Était-elle en rapport avec les lignes telluriques qui avaient été détournées pour converger vers le château ? Elle lança un coup d'œil vers Ashley qui contemplait la gravure avec une attention visible. Elle remarqua que son allure avait changé. Une certaine tension apparaissait dans ses épaules, comme si lui aussi percevait quelque chose d'inhabituel. Mais avec quel sens ? Celui de normaliste ? Ou bien était-ce plutôt sa sensibilité particulière de mage qui s'éveillait ? Elle ne pouvait le lui demander avec tant de gens autour d'eux !

À moins que moins que son intellect affûté ne lui ait permis de comprendre...

Comment avait-elle pu être idiote à ce point ?

Elle appuya son poing contre ses lèvres, bouleversée... Ça n'était pas vrai... Ça ne pouvait être vrai... et pourtant...

Si une croyance intense en l'existence d'une licorne avait pu modifier une jument au point qu'elle produise cette longue corne de couleur opalescente, ne pouvait-elle pas changer une humaine en reine des fées ?

Mair...

L'horreur et le dégoût qui la saisirent furent si violents qu'elle se leva brutalement, une main toujours pressée sur sa bouche. La tête lui tournait, le monde autour d'elle s'était transformé en chaos. Les remplages le long du mur devenaient des troncs d'arbres dans une forêt obscure et baignée d'une lueur verdâtre, où la jeune fille était retenue...

Aidez-moi...

Elle avait l'impression d'être emportée dans un torrent d'eau sombre qui charriait les pensées anarchiques des occupants de la salle. Elle pouvait ressentir leur passion, leur horreur, leur espérance, leur méfiance, sans savoir même de qui ces sensations émanaient... Mais elle pouvait aussi percevoir la ferveur mystique, empreinte de folie, avec laquelle certains d'entre eux attendaient que s'éveille la Reine des Fées... Sa seule issue fut de prendre la fuite vers le hall. Elle avala les escaliers, trébucha sur les dalles disjointes, manquant de tomber. Une main attrapa son bras ; elle poussa un cri de terreur, tentant de se libérer, mais une voix retentit soudain dans ses oreilles :

Spiritus Mundi - II - La Reine des Fées [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant