chapitre 1 - le brigadier

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« Monsieur Duclos, prenez les affaires dont vous aurez le plus besoin pour les jours à venir, il faut partir dès maintenant. »

  Voici les premières paroles que j'ai entendues en ouvrant la porte. Je n'ai pas le temps de poser de questions ni à l'homme devant moi, qui est policier, ni à moi-même. À l'instant où je me retourne, j'aperçois la voisine, madame Klouchi, dérangée de la même manière par un autre homme. Cette vieille dame, toujours souriante et agréable avec le voisinage a aujourd'hui un visage recouvert par la peur. Elle avait sûrement dû allumer sa télévision elle aussi. Ce n'était pas un rêve. Il y avait bel et bien écrit « Coup d'état en direct, à l'Élysée ».  Je n'ai plus le temps de penser à elle et à cette information, je cours mettre quelques provisions dans une valise. Quelques fruits, des biscuits, quelques vêtements, mon carnet de journaliste et un stylo.

  J'entends la voix de l'homme à l'entrée et son accent venant du sud me demandant de me dépêcher. Je boucle alors mes bagages et me dirige à l'entrée. Il m'attend. Grand, costaud, chauve et une veste bleue trop petite pour lui. Il m'attrape fermement par le poignet et me tire. Je ferme la porte, la verrouille, et l'homme commence à courir. Je manque de tomber, mais me retiens à la valise, et cours sur ses pas.
Arrivé en bas de l'immeuble, je vois des dizaines de fourgons blindés. Je me retourne pour regarder mon immeuble. Pour le regarder peut-être pour la dernière fois. Je vois madame Klouchi sortir du bâtiment. Les policiers l'amènent vers un groupe de personnes, et moi directement dans un fourgon.

  Des gens sont déjà installés dedans. Des hommes, des femmes, et un bébé. Tout le monde a l'air de savoir ce qu'il se passe, et a peur que quelque chose survienne près de nous, une bombe, des coups de feu, ou je ne sais quoi. Le fourgon démarre, puis un homme, qui semble être le brigadier-chef, nous explique la situation, et nous informe sur ce que l'on fait dans ces véhicules.

  « Bonjour à tous. Nous sommes chargés de votre sécurité. Depuis le début de la semaine, des événements inquiétants se produisent dans les quatre coins du pays. Ces événements préparaient celui d'aujourd'hui. Un nouveau parti politique français, appelé la DFF, Dictature Fasciste Française, vient de débuter un coup d'état. Ce parti politique tente de mettre en place, comme l'indique son nom, une dictature fasciste et ségrégationniste, séparant les religieux, les noirs, et les homosexuels. Toutes les personnes inculpées dans les attentats de cette semaine sont de ce parti. Même les deux ministres retrouvés pendus. Nous allons vous amener en Belgique en faisant une escale à Lille pour nous mettre d'accord avec le gouvernement belge si nous sommes sûrs de pouvoir vous loger dans le pays, et assurer votre sécurité. Sinon, nous resterons à Lille quelques jours. Des questions ? »

  Aucune voix ne s'élève. Nous n'entendons que le bruit du moteur, et les pleurs du bébé. Le brigadier-chef s'assoit sans rien dire. Je rêve où il a esquissé un sourire au conducteur ? Non, sûrement mon anxiété qui me fait halluciner. Tous les passagers se regardent, gênés, pensifs, et certains tristes. Un silence s'est installé. Je pense alors à Marvin. Je prends mon téléphone pour lui demander ce qu'il se passe de son côté.

  Dix minutes s'écoulent, et toujours pas de réponse. Je décide de ne pas m'inquiéter. Je prends alors mon carnet et mon stylo pour me changer les idées, et j'écris. J'écris ce que je vis depuis le début de la journée. J'écris mot pour mot les paroles du brigadier-chef. Je décris le paysage que j'aperçois à travers les vitres grillagées du fourgon. Les arbres qui défilent à une vitesse folle, les pavés de la route, les immeubles. Et devant nous, une fumée. Un nuage noirâtre qui s'élève vers le ciel. Tout le monde l'a vue. Tout le monde l'a sentie. Les visages sont de plus en plus inquiets. Le bébé tousse à cause de l'odeur. Puis, une vibration dans ma jambe. Un message. « Un policier m'a pris avec lui. Il m'a emmené dans un fourgon. Il n'y a que des personnes noires avec moi... »

  Au début, je me demande pourquoi ajoute-t-il ce détail, sans y prêter plus d'attention, et lui réponds que je suis soulagé. Je reprends d'écrire dans mon carnet. Puis, je repense au discours du brigadier. Je relis le message de Marvin. Je lève les yeux pour observer les personnes dans le fourgon. Je comprends alors ce qu'il m'arrive. Ce qu'il nous arrive.

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