chapitre 6 - la cachette

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« Nous faisions partie de la DFF. Enfin, pas vraiment. Nous sommes espionnes. Avant d'être emmenées à Lille, nous travaillions pour la Direction du Renseignement Militaire. Quand l'Etat a appris que la DFF allait se créer, le ministère de la Défense nous a envoyées en opération pour en savoir un peu plus. Nous avons appris énormément de choses.

-Tout d'abord, nous avons appris que Louis Aliot, jusqu'alors membre du FN, est aux commandes de ce parti. Il a prononcé un discours dans une grande salle, hurlant de la même manière qu'une personne dont vous connaissez le nom. Il disait qu'il libérerait la France "des merdes qui la polluent". Ça fait plus d'un mois que lui et son équipe mettent en place des stratégies de coup d'état. Nous faisions semblant de les aider.

-Seulement... Quelques semaines après notre intégration au sein de la DFF, quelqu'un nous a démasquées. Nous avons donc été virées de force. Par le directeur en personne. Il nous a dit mot pour mot : "Les deux gouines. On vous laisse partir, on ne vous tue pas. Mais si vous dévoilez une seule chose que vous avez vues ici à qui que ce soit, vous êtes mortes. "

-On a donc gardé le secret. Enfin quelques jours seulement. Nous avons tout révélé au ministère de la Défense, le coup d'état, le jour précis etc... Mais personne ne nous a crues. Ils pensaient tous qu'on disait ça juste pour avoir de la reconnaissance, une prime, ou je ne sais quelle connerie du genre. On nous a alors traitées de menteuses, de paranos, d'opportunistes, et nous avons démissionné. La veille de l'attaque. Puis nous avons été amenées ici. »

Nous sommes dans un appartement de l'immeuble numéro 416. Claire et Chloé nous racontent leur périple au sein de la DFF. Je regarde ma montre, 19h45. Plus que quinze minutes avant de retourner au camp. « Ne regarde pas ta montre Lucas. Nous restons ici. » Claire me sourit. Elle met sa main dans sa poche, et sort un trousseau de clé. « Le propriétaire a dû oublier de les prendre, avec le stress. On a fermé la porte, on ne peut pas être vus. On va pouvoir élaborer un plan pour essayer de s'enfuir. » Tout le monde se regarde, l'air à la fois serein et pensif. Chloé se lève, et revient avec une sacoche. Elle en sort son ordinateur et des feuilles, avec des dessins, des plans, des schémas, des textes.    « On est espionnes. On sait rester discrètes à tout moment, même quand il s'agit de voler de la paperasse.

-Alors on vous explique tout. On vous a emmenés dans cette cave, car c'est dans un endroit semblable à celui-là qu'est coincé ton ami, Lucas. Et on s'est dit qu'on n'allait pas le laisser dans la merde. Voici les plans des caves à Bordeaux. »    Je prends les plans des caves. 8m², avec un matelas au sol. Pas d'électricité, seule la lumière du jour venant d'une petite fenêtre éclaire la pièce. « Pourquoi Marvin est-il enfermé ?

-Il est noir et homo. La DFF a décidé que les personnes qui auront deux "défauts" seront enfermées là-dedans. Ils sont traités comme des animaux. Leur repas est servi dans une assiette, sans couvert. Des caméras surveillent toutes les pièces. Manque de bol pour eux, elles ne sont pas infrarouges. Il faudra donc agir de nuit pour ne pas être repérables.

-Ce soir, on se repose, on a commencé à construire, perso, je suis crevé. On verra demain, si nous pouvons partir.

-Théo a raison... Mais comment allons-nous déjouer l'attention des brigadiers ?

-Bonne question Romain. Les brigadiers sont de garde la nuit. Ils font un roulement. Il faudra donc agir pendant qu'ils changent de garde. Il faudra être silencieux, et rapide. On volera un fourgon, on a réussi à récupérer une clé pendant que vous visitiez la cave tout à l'heure. Ensuite, on fera une escale à mi-chemin, à Tours. Il n'y a aucun camp à cet endroit, et on a contacté une amie qui pourra nous héberger. Ensuite, nous arriverons à Bordeaux. On verra plus tard comment on s'organisera pour l'évasion de Marvin. »    Je saisis mon téléphone. « Envoyer un message à : Marvin. Je viens te chercher. On vient te chercher. »

Je tourne autour de moi même. J'entends des coups de feu, des bombardements, des cris d'habitants désespérés, des mots en arabe, je vois des flaques de sang à mes pieds, des villes et des vies détruites, des journalistes, micro à la main, des cameramen filmant les scènes d'horreur. Je vois mon père au loin, faisant un reportage. Je cours vers lui pour le prendre dans mes bras. Au moment où je le sens contre moi, un bruit sourd. Boum. Il tombe, je me précipite à lui, trop tard, il ne respire plus, touché en plein cœur. Je crie à en détacher les poumons, mais aucun son ne sort. Je secoue la tête. Claire, Chloé, Romain et Théo me regardent. Je transpire, des larmes coulent sur ma joue.

« Pourquoi tu pleures, Lucas ?

-... Désolé... Je pensais à mon père. C'est assez dur pour moi d'en parler, je ne l'ai jamais vu... Il était journaliste, reporter de guerre précisément, et il a été tué à Alep quand j'avais quinze ans. Mais avant cela, il avait abandonné ma mère, mon frère, ma sœur, et moi qui n'étais pas encore né. Enfin bref, je ne veux pas vous attrister ni vous mettre tout ça sur la conscience. » Un silence s'installe.

« ... Nous devrions aller nous reposer. Et demain, on sera enfin libres. Bonne nuit !

-Oui Théo, à demain. » Je cherche une chambre, j'entre, me déshabille, enfile un survêtement et un t-shirt. Je m'assois au bord du lit, prend mes cheveux dans mes mains, repense à tout ce qu'il se passe depuis hier. Je me lève, regarde par la fenêtre. Plein d'hommes et de femmes dorment à la belle étoile. Je décide d'aller m'allonger. En allant me coucher, une main me prend par le col. « Romain, arrête tes conneries. » Je me retourne. Képi, veste bleue, logo de la DFF, sourire aux lèvres. « Ce n'est pas Romain ! Hahaha, vous pensiez être libres ? »

HexagoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant