La journée allait toucher à sa fin.
Eloïse avait pour objectif de s'endormir tôt – à savoir, dix-sept heures – pour ainsi se réveiller au beau milieu de la nuit. Chose étrange venant de sa part, alors qu'elle préférait aller se coucher à l'aube plutôt que de se lever au crépuscule, mais avec Haven qui l'espionnait en permanence sans plus se cacher et Levanna qui lui collait aux baskets le reste du temps, la solitude commençait à grandement lui manquer. La nuit était le seul moment de répit dont elle jouissait pleinement.
Seulement, elle n'avait pas du tout sommeil.
Rageusement, elle sortit de sa couette et balança l'un de ses coussins à l'autre bout de la pièce. Le pauvre objet rembourré s'écrasa contre le mur au papier peint sûrement hors de prix avant d'aller rejoindre le sol, joyeux bouquet de fleur rectangulaire perdu sur cette étendue de marbre en dégradé de gris.
- Les petites fleurs bleues c'est bien évidemment ce que je préfère, grogna-t-elle.
Elle saisit son deuxième oreiller – turquoise et doré, ressemblant à un océan surplombé par un soleil couchant – et l'envoya rejoindre son congénère. Il tomba au sol dans un bruit mou.
Estimant que ce n'était pas assez pour satisfaire sa frustration, elle saisit le verre d'eau encore plein posé sur sa table de chevet et le balança sur le papier peint. Il explosa en une gerbe d'éclats translucides et laissa une large tache d'eau sur le mur.
Deux gouttes tombèrent au sol, puis trois, quatre, et Eloïse se détourna de ce spectacle. Les morceaux de verre pourraient attendre bien sagement par terre. Les coussins aussi, d'ailleurs. Elle avait autre chose à faire de son temps perdu.
D'un pas pressée, elle ouvrit sa penderie à la volée et l'examina brièvement du regard. Elle avait besoin de bouger pour se fatiguer. Sinon, elle risquait de faire souffrir d'avantage le mur et les objets qui envahissaient la pièce.
Eloïse saisit une longue robe si blanche que ses pupilles auraient pu fondre en la regardant trop longtemps, sautilla pour atteindre la boîte à couture oubliée par Levanna sur une étagère plutôt haute pour ses courtes jambes, puis balança le tout sur son lit. Sans perdre de temps, elle se saisit des ciseaux de sa dame de compagnie et commença à découper le bas de sa propre robe, aussi sombre que son humeur.
Le tissu, tranché à la façon d'un enfant de cinq ans et simplement déchiré par endroits, tomba par terre dans un léger bruissement d'étoffe. Désormais, Eloïse pouvait voir le commencement de ses cuisses.
Elle se saisit de la robe blanche, l'enfila par dessus celle qu'elle portait déjà, puis regarda avec dépit le long tissu retomber jusqu'à ses pieds. Sur ce vêtement aussi, Levanna avait oublié de faire quelques ajustements. Soit, elle s'en contenterait.
Eloïse enfila ses Doc Martens bordeaux, puis se posta devant le grand miroir de la penderie. Entre sa robe, ses cheveux et sa peau décolorée, elle ressemblait à un cachet d'aspirine. Ou a un suppositoire, en fonction du point de vue.
Elle quitta la pièce non sans écraser des morceaux de verre qui jonchaient le sol sur son passage, puis arpenta les couloirs, la tête haute et les mains dans le dos. Pour une fois, les nobles et serviteurs qui croisèrent son chemin ne semblèrent pas la remarquer. Comme si ressembler à un fantôme lui conférait la même habilité à être invisible.
Son plan fonctionnait, donc.
Au bout du couloir se tenait un petit balcon, séparé de la partie intérieur du château par une porte vitrée. Fermée, bien évidemment. Eloïse se cacha derrière les épais rideaux de velours blanc qui la recouvraient pendant que les magiciens avaient le dos tourné et saisit la pince à cheveux qu'elle avait entortillé dans ses lacets. Une minute et quelques déboires avec la serrure plus tard, elle se trouvait dehors.