Une belle histoire d'amour

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Je m'appelle Chloé, et il y a de cela quelques années, j'ai vécu une belle histoire d'amour. Elle n'était pas forcément passionnelle ou digne des plus grands romans. Non. C'était juste une belle histoire d'amour.


Elle s'appelait Lyria. Nous nous croisions tous les matins chez le marchand de journaux, et nous marchions ensemble jusqu'à son arrêt de bus. Nous ne nous parlions jamais. Juste de légers coups d'œil par-ci par-là.

Au plus profond de moi, je la désirais. Je voulais plus que tout caresser ses beaux cheveux roux, avant de plonger mon regard dans le sien jusqu'à la noyade. Je mourrais d'envie de l'embrasser, et que nous nous endormions côte à côte, main dans la main, bercées par le rythme effréné des battements de nos cœurs.

Je savais que c'était tout bonnement ridicule : j'étais tombée amoureuse d'une parfaite inconnue, à qui la seule chose que j'adressais était un long mutisme !

Cependant, malgré ce silence que nous partagions, j'avais pris connaissance de quelques petites choses sur elle : Lyria Mills était psychologue pour adultes et travaillait dans un cabinet situé dans le centre de Lyon. J'avais obtenu ces informations en lisant une carte de visite avec sa photo, qui avait malencontreusement glissé de la poche de son manteau. Elle s'intéressait à la mode, car elle ne lisait pratiquement que des revues de stylistes. Lyria aimait les enfants : à chaque fois qu'elle en voyait un, elle ne pouvait s'empêcher de sourire avant de lâcher un petit soupir. Peut-être aurait-elle aimé en avoir un ?

Oui, je passais le plus clair de mon temps à observer cette Lyria Mills.

Un jour, je pris la décision de changer les choses. Grâce au numéro sur sa carte de visite, je pris rendez-vous pour une séance avec cette psychologue.

Quand je me rendis à son cabinet, j'étais terriblement nerveuse : je m'arrêtais à chaque vitrine de magasin pour vérifier si j'étais bien coiffée, ou si mes dents étaient suffisamment blanches. Quand je sonnai à la porte de son cabinet, c'était à peine si j'arrivais à tenir debout. Enfin, quand elle m'ouvrit, mon cœur faillit s'arrêter ; Lyria était tout simplement stupéfiante. Elle n'avait jamais été aussi belle, aussi parfaite. Elle m'avait reconnu. Je le voyais dans son regard. Son regard... jusqu'à ce jour, rien n'avait été aussi attirant et mystérieux à la fois.

L'heure passa plutôt vite. Pendant la séance, nous parlâmes d'enfants. Elle me confia que si un jour elle avait une fille, elle l'appellerait Sophie. Je m'exclamai que c'était un joli prénom, ce à quoi elle me répondit par un sourire timide. Ce sourire que j'aimais tant.

A la fin de la séance, Lyria murmura à mon oreille :

« Je t'aime bien, Chloé. »

Je lui répondis par un bafouillage incompréhensible.

Le lendemain matin, nous nous croisâmes à nouveau chez le marchand de journaux. Comme à nos habitudes, nous ne nous dîmes rien et nous contentâmes de quelques regards en coin.

Ce ne fut que sur le chemin jusqu'à l'arrêt de bus que les choses s'accélérèrent : Lyria était beaucoup plus proche de moi. Nos épaules se touchaient presque et nos mains... nos mains n'étaient qu'à quelques centimètres l'une de l'autre. Il ne suffisait que d'un élan de courage pour que j'attrape sa paume...

Nous n'étions plus qu'à environ cinq mètres de l'arrêt de bus. Il fallait que le fasse... et je le fis. Je pris rapidement la main de Lyria. Ce contact soudain nous fit sursauter. Sa paume était glacée, contrairement à la mienne qui était bien plus chaude et réconfortante.

Je frémis un peu. Mon cœur battait à tout rompre, mais il m'importait peu.

Je remarquai que nous nous étions arrêtées. Nous étions figées sur place, au milieu de la rue bondée de monde. Les gens marchaient autour de nous, nous bousculaient parfois, nous, statues muettes figées dans le temps.

Je ne sais pas combien de minutes ou d'heures s'étaient écoulées tandis que nous étions tétanisées sur le trottoir.

Je sais juste que, au bout d'un certain temps, Lyria s'était tournée vers moi, le visage illuminé par un sourire chaleureux. Les seuls mots qui sortirent de ma bouche à cet instant furent :

« Moi aussi je t'aime bien. »

Et elle m'embrassa. Le baiser ne fut pas spécialement passionné ou rapide. C'était un beau baiser. Un baiser chargé d'amour et de sens. Un baiser à la fois de bonjour et d'adieu.

Je passai mes mains derrière sa nuque. Elle ne repoussa pas ce geste. Bien au contraire, elle entoura ma taille de ses bras.

Nous restâmes là quelques minutes, nous et notre beau baiser.

Lyria finit par s'éloigner de moi, rompant ainsi notre contact fusionnel par un léger « smac » qui retentit dans tout mon corps, et passant par mon cœur.

Lyria m'embrassa une dernière fois, mais le baiser fut ridiculement bref. Elle me sourit pour la dernière fois avant de partir et de s'engouffrer dans la foule de passants. Je ne la revis plus jamais.

Je m'appelle Chloé et je suis à la retraite. Je n'ai personne avec qui partager ma vie. J'ai toujours été seule, sans jamais parvenir à combler un vide dans mon cœur. Pourtant, il y a bien une fois où je me rappelle avoir été amoureuse. C'était d'une jolie psychologue, rousse aux yeux vert émeraude et au sourire rayonnant. Tout ce qui me reste d'elle, c'est une carte de visite. Avec le temps, elle s'est abîmée et le nom s'est effacé, de même pour le numéro du cabinet. Il ne reste plus que la photo et son prénom : Lyria. Ces deux éléments sont les seules choses qui me permettent de m'accrocher à son souvenir, un souvenir à moitié détruit par ma mémoire bancale.

J'ai besoin de me rafraîchir l'esprit, de me sentir aimée. C'est pour ça que j'ai fait quelque chose que je n'ai pas fait depuis longtemps : j'ai pris rendez-vous avec une psychologue. Ma séance avec elle se déroule aujourd'hui même. Ma future psychologue s'appelle Sophie Mills.

Sans vraiment savoir pourquoi, ce nom et ce prénom me disent quelque chose...

Réalités - recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant