Je me souviens que j'écrivais beaucoup de textes sur elle. Ces textes, je les publiais sur Internet ou les gardais pour moi. Le plus souvent, j'aimais les lui montrer, sans qu'elle ne sache que la fille dont j'étais amoureuse, c'était elle.
Entre amies, nous l'appelions Balance. C'était pour nommer celle dont personne ne connaissait l'identité. Tout le groupe savait que j'étais amoureuse de Balance. Personne ne savait qui elle était.
Balance n'avait pas de temps pour moi. Elle ne me parlait jamais, ne m'accordait aucune attention. Et pourtant.
Et pourtant je l'aimais. Elle était hautaine avec moi, ne me complimentait pas, remarquait à peine ma présence. J'étais son ombre, et pourtant, je l'aimais.
Je me souviens du jour où je lui ai avoué mes sentiments. Elle n'avait pas de temps pour moi. Et pourtant, dans la cour bétonnée et froide de notre petit collège parisien, j'avais réussi à attraper le bout de sa manche pour qu'elle puisse poser son regard sur moi.
Pour la première fois depuis longtemps, elle faisait attention à moi. Je me souviens que j'avais soutenu son regard et que, droit dans les yeux, je lui avais dit d'une voix tremblante :
« C'est toi, Balance. »
Elle n'avait rien dit, et pourtant.
J'ai su que rien ne serait jamais pareil.
J'ai su que je venais de tout perdre.
J'ai su que c'était la fin du monde tel que je l'avais connu.
Nous mourrons tous un jour. La vie ne vaut pas toujours la peine d'être vécue. L'amour est un train qu'on rate une fois sur cinq.
J'avais soutenu son regard, et dans ses yeux, j'avais lu sa surprise, sa colère, son dégoût.
Un silence s'installa entre nous. Le temps était maussade, ce jour-là. Le crachin de la pluie mouillait mes joues, fourchait mes cheveux et se mêlait aux larmes qui me montaient aux yeux.
Je lâchai sa manche, baissai les yeux. Elle ne dit rien, moi non plus. Il n'y avait rien à dire.
C'était comme une mort sans mourir : je revoyais notre relation défiler devant mes yeux. Son regard jamais posé sur moi, son sourire s'adressant toujours aux autres, ma voix qui l'atteignait pas, même quand je criais son prénom.
Mon cœur se serra.
Je ne pus retenir mes larmes plus longtemps. Je m'enfuis sans lui laisser plus de temps pour me répondre quoique ce soit. De toute façon, il y avait-il vraiment quelque chose à dire ?
J'étais allée me réfugier dans les toilettes pour pleurer. Les gens me demandaient, à travers la porte, si tout j'allais bien. Je me retins de leur répondre que j'étais en train de sangloter en position fœtale sur les W.C mais que oui, tout allait bien.
Tout allait mal.
L'heure de français qui suivit cet épisode fut long. Mes yeux étaient rouges, ma gorge serrée, ma voix petite. Les gens me dévisageaient comme s'ils savaient tout. Ils ne savaient rien, ils avaient tout simplement deviné que j'allais mal. Et pourtant, personne ne vint me voir.
J'étais seule. C'était la fin du monde tel que je l'avais connu.
Le soir, je claquai la porte en rentrant chez moi. Je m'assis sur une chaise, pleurai. Puis, je m'emparai de mon carnet bleu à spirales fétiche pour relire tous les textes que j'avais écrit sur elle. Sur Balance. Les paragraphes entiers où je décrivais la façon dont elle m'ignorait. Tous les mots, toutes les figures de style que je tentais de poser sur les sentiments trop forts pour être couchés sur un papier.
Je pris mon stylo et rouvris le carnet sur une page blanche. J'inspirai un grand coup et, sans m'arrêter de sangloter, me mis à écrire.
J'écrivis les maux et les mots que Balance m'avait instillée, la mer et l'amer qu'elle m'avait fait ressentir, l'amour et la mort qu'elle m'avait inspirée d'un seul regard. Ce que l'Homme ne parvient pas à contrôler, je l'écrivis pendant de longues heures, rythmées par les hoquets que je laissais échapper en pleurant.
Le lendemain, je revins au collège, mais le monde tel que je le connaissais avait disparu : plus d'amies, plus de Balance. Plus rien.
Alors je me reconstruisis un autre monde. Je l'ai quitté en sortant du collège pour la dernière fois, en juin.
Aujourd'hui, je relis ces textes, et je pleure. Je pleure car tout semble aller mieux, et pourtant.
Je souffre en silence.
Je souris pour cacher les maux.
Je soupire pour laisser s'échapper l'amer.
L'amour me poignarde encore aujourd'hui.Je pleure et me demande quand est-ce que tout va s'arranger. Quand est-ce que j'arrêterai de penser à elle dès que j'ai à nouveau le cœur brisée.
Tout semble aller mieux, et pourtant.
Son regard qui disait tout me hante,
Ses lèvres résolument fermées me torturent,
Son dos se présentant obstinément à moi m'apparaît toujours.Alors aujourd'hui, j'écris toujours. Et aujourd'hui, je dis au revoir à tout ce que je quitte sans peine.
Les maux du passé.
L'amer de mes larmes.
Et toi, Balance. Mais autant t'appeler par ton vrai prénom, maintenant, non ?Au revoir, Luna.
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Réalités - recueil de textes
KurzgeschichtenDes textes. Plusieurs réalités selon plusieurs périodes de ma vie. Quelques morceaux du puzzle, aussi.