Une Odeur de Poudre

Chapitre 10

« Madame vous êtes ravissante ! »

Le cri fit sursauter la jeune femme qui se retourna pour apercevoir une femme replète, aux cheveux grisonnants et pourtant sans perruque, se dandinant jusqu'à elle. Pour l'époque, elle était belle avec un visage rond et rose, malgré les quelques rides qui se formaient au coin de ses yeux. Contrairement à bien des dames de son âge, elle portait un maquillage léger, presque inconvenant pour une cour royale si friande des fards et autres poudres, et une robe simple d'un magnifique bleu pastel. Secouant son ample poitrine, elle agita un lourd éventail devant son visage et dévora de ses yeux marrons Amelia. La jeune femme était vêtue d'une robe de même facture, si ce n'était qu'elle était d'un profond rouge d'Andrinople et était décorée de galons couleur prune et ses cheveux étaient remontés en un élégant chignon maintenant par un ruban de gris de lin tirant sur le bleu. Un fichu de soie blanche encadrait sa poitrine mise en valeur par un décolleté plongeant, qui la mettait mal à l'aise. Cependant, Amelia sourit à sa partenaire d'un moment et fit une légère révérence.

« Comtesse de Bute, c'est un honneur de vous rencontrer.

– Allons, assez de tout cela ! Une amie de ce cher Barthelemy ne devrait pas avoir à ployer genoux devant moi ! Vous êtes ravissante, cet homme fait des merveilles avec vous ! »

La jeune aristocrate ne put s'empêcher de rougir doucement devant les flatteries de la comtesse, car si elle en croyait les renseignements du couturier elle n'avait pas la langue dans sa poche. Aussi croyait elle les compliments.

« C'est une surprise de vous voir ici... Ma pauvre enfant, vous qui êtes seule en Londres devez chercher la compagnie de Notre Seigneur. »

Avec un sourire timide, Amelia perdit son regard par-delà l'épaule de la dame vers le dôme de la Cathédrale Saint Paul qui s'élevait non loin. La couleur verdâtre de ses plaques de cuivre lui donnait un air imposant sans compter sur l'imposante façade qu'elle dominait. La messe anglicane avait été étonnamment réconfortante pour elle. Pendant quelques instants, elle n'avait pu penser qu'à sa foi et à la paix du Christ tout en entonnant les chants... Aussi la comtesse n'avait-elle pas totalement tort en affirmant la recherche de compagnie de la jeune femme. Mais la véritable raison de sa présence était sans conteste le fait que la comtesse était une habituée de la cathédrale. Or Kupfer avait longuement bavardé avec la dame lorsque celle-ci s'était présentée et avait introduit la douce et merveilleuse Amelia de Grey-Codnor, jeune novice et héritière fraîchement débarquée en ce Londres des débauches et affaires politiques. La comtesse avait été si émue par la description du couturier qu'elle avait demandé où et quand elle, et son mari, pourraient prendre l'enfant sous son aile.

Kupfer avait assurée à l'aristocrate que la jeune femme allait chaque dimanche à Saint Paul en bonne chrétienne. Et lorsque cette dernière revint à la boutique, le couturier lui fit part de sa rencontre avec la comtesse. En ces trois jours, il avait accompli un travail d'une rare qualité tant il avait voulu faire plaisir à Amelia et lui avait confectionné plusieurs tenues dont il savait que Mme de Bute raffolerait. La jeune femme en était tombée des nues car les robes étaient en effet magnifiques. Lorsqu'il lui avait cadeau de deux d'entre elles, elle s'était senti prise d'un vertige et avait serré dans ses bras l'homme qui lui avait tapoté dans le dos d'un air gêné.

« Vous sentez-vous bien ma chère, s'enquit soudainement la comtesse devant le silence d'Amelia.

– Excusez-moi madame... Je réfléchis à la paix que m'apporte la messe, réagit aussitôt Amelia.

– Je puis comprendre... En parlant de notre Seigneur, je ne puis que faire charité. Que penseriez-vous de venir dîner ce jourd'hui ? Nous ne recevons que rarement au souper mais notre chère du dimanche midi est généralement abondante.