Chapitre 4

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Alors que la colonne de français se dispersait entre les arbres, Simon ne put s'empêcher de se dire qu'il les menait à leur mort. L'éclaireur n'en était pas un, et encore moins un partisan de la Nouvelle France. Bien que pouvant aisément pratiquer la langue de Molière, il n'en restait pas moins un patriote britannique. Il aurait préféré ne jamais combattre ses voisins mais lorsque le blocus du Saint Laurent avait été brisé par la flotte française, l'armée s'était jetée sur l'Acadie dans le but de reprendre ce territoire tombé aux mains britanniques en 1713. Cependant l'hiver 1762 avait été rude et les troupes battant pavillon blanc avaient dû vivre sur le territoire et les Acadiens avaient subis les pillages et autres exactions des français. Simon avait vu son commerce vidé, son or volé et il avait protégé sa famille des violences qu'en les envoyant au sud, dans les colonies encore sous contrôle britannique.

Suffocants sous le joug français, les Acadiens avaient bientôt ressenti une haine tenace envers leurs soi-disant libérateurs. Et si certains d'entre eux avaient rejoint l'armée canadienne, beaucoup avaient décidé de lutter contre l'oppresseur par des actions plus ou moins directes. De nombreux puits près desquels campait l'armée française s'étaient retrouvés empoisonnés ou encore des nuisibles avaient été introduits dans les réserves des troupes. Simon lui avait fermé boutique et avait disparu du jour au lendemain de la commune de Petitcoudiac, sa ville natale. Il avait dès lors rejoint les lignes anglaises et s'était enrôlé à Albany. Là il avait montré ses capacités pour servir la logistique et très rapidement il en était venu à seconder le général des forces britanniques de la région. Lorsque les attaques des Diables Français étaient devenues trop importantes, Simon avait longuement réfléchi à une stratégie qu'il avait enfin dévoilée à son maître. Le frère du Duc de Malbourough, alors en rage à la suite de la perte d'un de ses convois qui comportaient entre autres choses son courrier personnel, avait accepté et confié à l'Acadien une troupe pour mettre à terme les exactions françaises.

Lorsque ses propres éclaireurs avaient découvert les traces laissées par Archibald et son équipier, Simon l'avait fait capturé et lorsqu'il avait découvert son origine Acadienne, il avait tout fait pour les convaincre. A la suite de plusieurs jours de discussions, de menaces Simon avait su ouvrir les yeux sur les effets néfastes de la présence française sur leur contrée et ils avaient ainsi fomenté l'histoire qui avait été narrée au capitaine de La Lande. Désormais, Simon se trouvait à la tête de la troupe d'une trentaine de français qui le suivaient, persuadés de tendre un piège aux troupes anglaises. Sans se douter une seconde de l'embuscade qui se tramait. Les français débouchèrent sur une clairière à flanc de colline et éblouis par la luminosité soudaine après la pénombre de la forêt, ils virent à peine l'acadien bondir et courir vers la ligne anglaise qui s'était formée à une quarantaine de pas. Simon récupéra son pistolet et le braqua droit vers l'alsacien qui commandait les Diables.

« Allons Capitaine, rendez-vous meshui et ne faites pas de difficultés. Votre troupe sera dépossédée de ses armes et nul mal ne se fera ni à son honneur ni à son intégrité. »

***

Jean Baptiste fulminait alors qu'il regardait fixement le canon braqué sur son visage. Mâchoires serrées, ses yeux lançaient des éclairs à l'acadien. Ses jointures blanchirent sur la poignée de son épée alors qu'il écrasait le cuir de la garde dans sa main. Une bouffée de haine l'envahit. Il s'était fait avoir comme un bleu et ce malgré les doutes qui l'avaient assailli. Simon parlait avec un doigté exceptionnel et son niveau de langage lui avait semblé trop soutenu, comparé à l'idiome habituel des trappeurs et pourtant le capitaine avait voulu croire qu'il n'était qu'un citadin, fils de bourgeois, ayant voulu la grande aventure. Qu'il lui ressemblait d'une certaine façon. Mais désormais il ne voyait que la perfidie de l'homme et les quatre-vingt anglais qui leur faisaient face. Une cinquantaine formaient un double rang de fusils braqués sur les français, encore à la lisière de la forêt.

Une Odeur de PoudreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant