« Madame c'est un véritable plaisir que de vous retrouver ! » S'était exclamé le couturier en découvrant sa dernière cliente à sa porte. C'était quatre jours après la soirée pour laquelle il avait usé de son art pendant des heures, dès l'aube pointant jusqu'à au midi avant de rencontrer quelques, trop rares, clientes. Mais depuis le fameux bal organisé par le Duc, de nombreuses femmes lui avaient fait parvenir leurs félicitations de la qualité de la tenue d'une certaine fille de la noblesse d'épée. Deux d'entre elles étaient même venues le rencontrer en personne pour lui commander. Le juif s'en trouvait soudainement riche et avec du travail considérable. S'il gagnait jusqu'alors bien sa vie son statut financier restait modeste, basé sur une clientèle fidèle mais peu nombreuse. L'arrivée de deux nouvelles commandes l'espace de quatre jours était une aubaine et une bonne fortune inattendue. Et pour cela il fallait en remercier Amelia. Aussi l'occasion lui en était donnée.
« Madame, je me dois de vous remercier d'avoir fait l'éloge de mon talent... Vous avez peut-être fait ma fortune.
– Voyons Kupfer... Devant l'élégance de vos tenues, je ne pouvais que faire de vous la nouvelle personne à rencontrer pour ces dames.
– Je ne saurai assez-vous remercier... Enfin ! Comment s'est passée votre soirée ? » demanda le couturier en se frottant les mains.
A l'expression gênée de la jeune femme, il comprit que ce n'était pas la question à poser en cette fin d'après-midi. Un éclat de colère mais également de tristesse traversa le regard d'Amelia et c'est à peine si l'on put apercevoir sa légère moue. Elle lissa rapidement son expression, retrouvant le flegme seyant à une jeune aristocrate. Mais il n'en demeurait pas moins qu'elle ne digérait pas l'accueil qu'elle avait reçue et encore moins le traitement cavalier dont elle avait bénéficié malgré elle. Une rancœur toute naturelle s'était ainsi crée envers le Duc, alimentait par l'animosité qu'elle portait à son lointain parent qui jubilait en silence de la disgrâce de la femme.
« Madame... Si je puis me permettre. Votre statut de femme est un obstacle qui peut vous fermer bien des portes. J'ai appris à vivre selon ma soi-disant infériorité que se fut dans mon Autriche natale ou au sein de la couronne anglaise. L'idéal est de vous servir des faux semblants, de passer par des intermédiaires... Ne jamais faire savoir qui est réellement derrière les habits. Ou les actions.
– Vous me semblez fort au courant de l'art de la politique maître Kupfer, se moqua doucement la jeune femme avec un sourire effacé ; semblant sous-entendre qu'elle n'y connaissait rien.
– Je ne saurais jamais rien qu'un humble néophyte face à la férocité du Parlement de votre pays... Mais je connais la férocité du commerce. Elle n'est pas bien différente de la politique si je puis me permettre.
– Que voulez-vous dire par là ?
– Que malgré ma religion et mon grand âge, je puis peut être vous aider belle et jeune fleur ne demandant qu'à acérer ses épines. Racontez-moi donc vos déboires... »
Amelia hésita, caressa de sa main droite sa chevalière puis se décida qu'elle n'avait rien de plus à perdre en s'exécutant. Ainsi narra-t-elle ses mésaventures du bal, son accueil poli et même amical des femmes mais son rejet de la part du Duc ainsi que les insultes à peine voilées de son proche cousin. Alors que les ombres s'allongeaient et que l'après-midi s'achevait peu à peu, Amelia s'ouvrit de plus en plus à l'homme. Son air fétiche mais pourtant paternel ainsi que sa sollicitude avait touché le cœur de la jeune femme. Celle-ci désirait un proche, un ami même, qui saurait la soutenir. A Londres, elle n'était que la fille et l'héritière d'une famille à la puissance oubliée et assaillie d'ennemis. Aussi la solitude pesait sur ses épaules les jours passants. Le lendemain du bal, qu'elle avait quitté dès après avoir entendu les confidences du Duc et de l'ambassadeur hollandais, le lit avait été son seul refuge pendant les nombreuses heures où elle était restée statique, observant les délicates décorations du mur ou encore perdant son regard dans le feu qui crépitait dans la cheminée de marbre.
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Une Odeur de Poudre
Historical FictionDans un XVIIIeme siècle ensanglanté par une Guerre de Sept ans non achevée, un jeune capitaine de l'armée royale française combat au coeur du territoire britannique, cherchant à capturer un membre haut placé de la noblesse anglaise impliqué dans un...