Une étrange prison et d'étranges moeurs

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Après cette nuit sans sommeil, le jour se leva sur ma prison glauque. J'avais l'humeur toute â la fois maussade et angoissée. Le ciel était gris à l'entour, et noir à l'horizon. Une bruine fine et pénétrante flottait dehors : de quoi rendre n'importe quel humain malade ! Je regardai autour de moi. Je vis une sorte de paillasse au fond de la cage avec une couverture brune jetée dessus. Je décidai d'aller m'y allonger et dépliai la couverture rêche pour me couvrir, moi qui était nu, et afin de me sécher. L'humidité imbibait autant le matelas que la couverture, mais j'estimais que cela serait toujours mieux que rien.

Je restais là, silencieux, les idées dans le vague. Je crois que je finis par dormir un peu. Quelque temps plus tard, je fus réveillé par un tintamarre métallique. Mon geôlier était aux portes de ma prison, et il criait :
— Debout là-dedans, c'est l'heure de la pâtée.
— Délicate attention, dis-je avec ironie.
— Du respect, sous-être ! Tu vas apprendre très vite que c'est ton intérêt. Mais, pour l'instant, mange ton repas, repris mon kidnappeur.
— Il ne faut pas critiquer le Maître, dit une voie féminine provenant de derrière un des murs de ma cellule.
— Le Maître prend soin de nous et il subvient à nos besoins. Tu devrais lui être reconnaissant, ajouta une voix masculine inconnue.
— Ecoute tes congénères, chaton, et mange, dit le geôlier. Puis, il fit passer une gamelle par une trappe en bas de la porte et fit de même avec deux autres cellules. Il remplit d'eau des réservoirs de deux litres munis d'une pipette qui ressemblait trait pour trait â des abreuvoirs de hamster ou d'oiseau mais â une échelle plus grande. Mais (était-ce par soucis d'humiliation ?) il fallait être à quatre pattes pour pouvoir y boire.
— Merci, Maître, dirent ensemble mes deux codétenus reconnaissants.
Et le geôlier repartit comme il était venu, sans un mot aimable.

Je reniflais le plat chaud qui nous avait été servi : légumes, viande et crème. Le tout avait l'air plutôt appétissant bien qu'il fut servi dans une gamelle de chien. Toutefois, une curieuse odeur venait bruler les narines. Par principe, je décidai de montrer ma désapprobation de ma détention en refusant de manger et je retournai me coucher.

Quelques minutes passèrent. J'entendais les autres se goinfrer. C'est alors que j'entendis la voix mâle venue d'un box un peu plus loin me dire :
— Hey, le nouveau, ça va ?
— Comment crois-tu que j'aille, réponds-je amer ? Me voilà ici, enfermé, traité sans aucune dignité. Je suis à la merci d'un type dont je ne connais rien des intentions, mais qui d'évidence ne sont pas bienveillantes envers moi.
— Ne dit pas ça, reprit la voix masculine. Le Maître agit pour notre bien. Il subvient à nos besoins. Il nous protège. C'est un être supérieur. Avec lui, nous avons compris notre vraie-nature. Nous ne sommes que des demis-hommes. La façon dont nous sommes traités ici est un privilège. Et au moins, avec lui, nos pouvoirs sont utiles.
Je restais dubitatif. Je répliquai :
— Mais si sa cause est si noble, quel intérêt de nous garder en cage ?
Cette fois, ce fut la voix féminine qui me répondit :
— le Maître est amour. Il nous tient ici pour nous protéger de nous mêmes et de ceux qui lui veulent du mal.
— Ceux qui lui veulent du mal ? Demandais-je.
— Les inférieurs, reprirent-ils tout deux en même temps.

Je restais songeur et silencieux après ces révélations. Je me demandais d'où venait cette philosophie de bazar ou encore par quel lavage de cerveau mes compagnons de sort pouvaient en arriver à penser comme cela. Je décidai de rester recroqueviller sous ma couverture, grelottant de froid. Mes codétenus voulurent me poser d'autres questions plus personnelles. Je leur répondis péremptoirement «demain ! Je suis fatigué.»

Je dormis le reste de la journée. Je me sentais fiévreux au plus haut niveau, vidé de toutes mes forces. La nuit tombée, la femme, ma voisine de cellule, dit :
— Le Maître ne viendra pas ce soir.
Et la voix masculine lui répondit :
— Il doit être à sa tâche, peut-être à la chasse. Il lui faut un mi-homme mi-bête reptile pour contrôler les métaux.

C'est sur cette dernière phrase que je sombrais accablé par la maladie, incapable de me soigner moi-même.

Autobiographie d'un thérianthropeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant