Chapitre cinq

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Il étouffa un sanglot dans la paume de sa main en claquant la porte de la pièce. Thomas avait l'impression que son cœur allait sortir de sa cage thoracique tant il battait fort. Ses membres tremblaient et ses joues étaient inondées de larmes alors qu'il tentait, en vain, de reprendre sa respiration. Il se laissa tomber sur le sol de sa chambre en prenant son visage entre ses mains.

Son père était rentré du travail quelques instants auparavant et il avait dû le mettre au courant de son échec scolaire sous le regard stricte de sa mère. Thomas s'était fait hurler dessus par les deux adultes, et il avait senti son cœur se fêler à chaque nouvelle injure que l'on lançait sur sa personne. Il n'avait pas prononcé le moindre mot, debout au milieu du salon, il avait fixé ses mains, serrant ses doigts les uns avec les autres pour empêcher les larmes de couler. Thomas s'était senti si faible à cet instant, si misérable. Il avait eu l'impression de n'être qu'un moins que rien, qu'un incapable, comme ses parents le lui avaient dit beaucoup trop souvent.

Mais il n'avait rien dit pour se défendre, il était trop fatigué pour commencer un combat, et trop blessé pour terminer celui-là. Alors il était resté las, ignorant les flammes qui brûlaient en lui, jouant le rôle du parfait bouc émissaire. Puis, toujours silencieux, il avait profité d'un instant de silence pour monter dans sa chambre, concluant que son règlement de compte avait touché à sa fin.

Thomas sentait la douleur de la déception lui ronger les entrailles, et le poids de l'incompréhension lui appuyer sur les épaules. Le brun n'arrivait pas à se faire comprendre, ses appels à l'aide restaient figés dans l'air, sans jamais parvenir à l'oreille du monde. Il avait envie de hurler, de crier, de s'arracher les cordes vocales pour qu'on l'écoute. Et pourtant il avait essayé, maintes et maintes fois, de mettre des mots sur ses démons, de partager ses ressentis, de se faire entendre dans cette cacophonie.

Le brun allait mal, il souffrait silencieusement, à l'abris des regards, son casque sur les oreilles et ses draps comme ultime bouclier. Personne ne le comprenait, personne ne cherchait à le faire, et personne ne le pourrait, car lui même en était incapable. Thomas était perdu dans un océan d'incompréhension. Tout au long de sa jeunesse on lui avait appris qu'il était​ bon de rêver, que le rêve était l'essence même de la vie. Alors, pourquoi, dix-huit ans plus tard, on le blâmait à ce sujet ?

On ne peut pas disputer une personne parce qu'elle est née avec les yeux bleus, comme on ne peut pas juger une personne née avec les cheveux bruns. Comment pouvait-on en vouloir à Thomas d'être la personne qu'il était ? Thomas était né de cette façon, il était né rêveur, et rien ne pourrait jamais changer cela. Lui l'avait compris, mais on le jugeait sans cesse à ce propos, sans tenter de comprendre à son tour.

Il avait l'impression de ne pas savoir nager et d'être en train de se noyer devant une foule de gens, tous le regardant avec des yeux ronds, pointant sur lui des doigts accusateurs, ne pensant même pas à venir le secourir. Le brun avait essayé de se concentrer sur ses études, mais il n'avait jamais réussi, son esprit était trop curieux, et il se laissait, malgré lui, porter par des rêveries qu'il savait inutiles.

Il posa la paume de ses mains sur le plancher froid de la pièce et se releva maladroitement, la gorge nouée. Un pincement lui traversa le poignet quand il fut debout et il massa délicatement la zone douloureuse entre ses doigts, les yeux clos. Une larme roula doucement sur sa joue quand il rouvrit les paupières et il s'humidifia les lèvres en laissant son regard se perdre dans la noirceur de sa chambre. Il aurait tout donné pour avoir quelqu'un à ses côtés à cet instant, mais la seule personne à qu'il avait confié ses ressentis se trouvait dans une cité universitaire à plusieurs heures de route d'ici.

Thomas soupira, il voulut appeler Teresa, lui donner rendez-vous à l'extérieur, n'importe où, il avait besoin de chaleur humaine, de réconfort. Mais cette dernière n'était pas au courant de ce qu'il ressentait, personne ne l'était, excepté Julia. Teresa savait que Thomas avait de gros problèmes d'attention en cours, ou même en dehors, mais elle ignorait tout de la souffrance que cela lui procurait. Il était souvent dans la lune, les yeux perdus dans le vague, ses iris caramels brillant sur un monde qui n'appartenait qu'à lui, duquel il était le seul personnage. C'était un monde dans lequel il n'était plus timide, un monde dans lequel Thomas devenait sociable et attentif, un monde dans lequel il n'était que perfection, un monde dans lequel il s'idolâtrait, un monde de rêve, bien loin de la réalité.

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