Le mauvais théorème de Thalès

1. Pas de rencontre, juste un "pisseur"

BARNABÉ - CHAPITRE UN

La soirée pue « la mauvaise soirée du vendredi soir ». C'est très grave et je ne sais pas si je m'en remettrais de perdre du temps à cette soirée qui ne sert strictement à rien. En atterrissant ici de force avec ma sœur Delphine, j'avais un énorme plan en tête. C'était tout tracé, j'allais faire LA rencontre d'une existence. Ce n'est pas très compliqué finalement, faut juste repérer la personne la plus apte à sourire avec toutes ses dents ou qui est entourée de tout plein de monde et hop ! bingo !

Va savoir ce que je faisais là, à presque faire l'amour avec les murs. Bon, se coller à ce mur n'a rien d'érotique mais je m'ennuie tellement que des pensées complètement folles me viennent à l'esprit. Ça craint ici, tout le monde est trop pote, tout le monde est trop dans la friendzone, tout le monde attend comme moi LA rencontre, mais finalement, il n'y a plus personne d'intéressant.

Delphine peut être LA rencontre, faut juste la voir se trémousser avec ses sacs de croissants. C'est tellement atypique qu'elle peut être la rencontre de tout le monde. Ce n'est pas tous les jours qu'on fait un stage chez un boulanger qui vous offre les restes à moitié-prix. Quelque fois, elle lâche des « tu veux un croissant, non ? LOOSER ! ». Elle crie tellement fort que toutes les personnes à la recherche de rencontre se tourne vers elle. Le truc c'est qu'elle a beaucoup de potentiel, mais qu'elle est ma sœur et que je la connais mieux que quiconque. Et si elle était LA rencontre de quelqu'un, je le plaindrai et tenterai sûrement de sauver ce courageux de cette folle.

Je me suis avancé vers le buffet avec l'horrible impression que j'étouffais. Il fait chaud et je n'ai pas mis mon déo' médical conseillé par la pharmacienne du jeudi. Et clairement c'est pas terrible parce que si on n'était pas dans une quasi-pénombre avec ces maudits spots colorés, le spectacle de mes auréoles serait tel qu'on en arrêterait la musique pour les observer. J'ai palpé mon front, recouvert de sueur et me suis finalement dit qu'il serait temps que j'y aille. Encore quelques minutes dans ce trou et je m'évanouis de sécheresse.

J'ai prévenu ma sœur en tapotant vite fait son épaule et elle a articulé un « ok frérot ». Delphine m'a lancé son dernier croissant et je suis sorti prendre l'air.

C'est toujours impressionnant la sensation qu'on a lorsqu'on quitte une fête. La porte qui se referme, le bouton de l'ascenseur enfoncé et la lumière des paliers allumée. La musique très nette qu'on entendait il y a quelques minutes devient un vague brouhaha miteux. C'est qu'en sortant que je me rends compte que je pue la clope alors que je n'ai pas fumé. C'est agaçant.

Arrivé en bas, je pousse les trois mille portes d'entrée. C'est seulement là que je m'assois et que je m'autorise à me la couler douce. Si j'étais saoul, j'aurais regardé les étoiles, appelé mon ex, crié que Delphine était une chieuse et que je ne connaissais rien à la vie. Mais je suis sobre et j'ai juste l'envie de rentrer, de me laver les mains, de mettre du déodorant et aussi boire un peu d'eau. Manger ce fichu croissant revient à mâcher un bout de brioche trop sec, ce n'est vraiment pas bon.

C'est là que je l'ai aperçu. Pas la rencontre du siècle, juste un gars qui pissait dans l'herbe, pas très glam'. Il était debout et j'aurais très bien pu le prendre pour un clodo mais il avait un sac à dos eastpak sur le dos, un sweat trop grand et des vans. Un gars classique quoi. Comme moi.

Lui aussi m'a vu furtivement et c'est moi qui me suis dit qu'il fallait bien trouver un moyen de gratter un peu de désinfectant pour les mains et du déo'. La prochaine fois que je vais en soirée, je me ramène avec une trousse de toilette.

- Hé toi ! Le pisseur ! Ouais toi. Quoi de neuf ? Débuté-je en essayant de ne pas réveiller le voisinage.

Il s'est retourné soudainement et je l'ai vu remonté sa braguette. Il m'a observé de loin puis m'a ignoré. Ce con.