BARNABÉ - CHAPITRE CINQ
Traînez trois jours avec Pythagore, même sans jamais communiquer avec lui et vous l'avez cerné. C'est aussi simple que ça, en deux temps trois mouvements.
Pythagore Allain est un gros lourd intolérant au lactose qui préfère couper la parole plutôt qu'écouter le locuteur en question. Il déteste parler de sa vie parce qu'il la trouve aussi merdique que celle des autres. Il adore manger des salades de pâtes et déteste son frère. Pour faire son intéressant, il lance un regard noir et se terre dans son coin. On ne sait pas s'il aime réellement fumer ou si fumer lui donne l'impression d'aimer. Toute sa vie, son seul grand ami fut son chien, Choucroute – dont on ne connaît pas l'origine du prénom.
Mon plan marche du tonnerre. Il me considère désormais comme un « pote relou mais passable » et non plus comme « le lourd qui veut devenir mon pote ». Je suis doué en flirt la plupart du temps mais avec lui, une seule remarque de trop est suivi d'un « ta gueule » pas piqué des hannetons. Le seul moyen subtil que j'aie est de casé un adjectif positif dans mes piques ou remarques négatives. À la place de dire « Tu fais la gueule Pythagore le pouilleux ? », je dis « Tu fais la gueule hein, Pythagore le sincère pouilleux ? ». Ça ne marche pas très bien mais je fais avec, après tout, il y a un début à tout.
J'aurais parié avec ma sœur qu'il deviendrait plus gentil au fur et à mesure de nos après-midi passés ensemble à ne rien faire mais, au contraire, celui-ci a une tendance à avoir ses règles en fin de mois. Delphine l'a invité à dormir ce week-end, comme quoi les deux se parleraient par messages dans mon dos. Elle veut faire une petite soirée à 3 avec lui et moi. C'est bien sûr une ultime trahison.
- Et vous parlez de quoi en privé ? Interrogé-je en goûtant à ma cuillère de nutella.
Delphine sourit, un œil plissé pour me regarder malgré les rayons du soleil qui lui picotent les yeux. Je croise les doigts pour qu'elle chope des coups de soleil aussi vite que moi à la plage.
- Ce ne sont pas tes affaires, monsieur la diva. Lâche-t-elle en se moquant de moi.
Il arrivera ce soir avec un paquet de maïs secs. Delphine a insisté pour faire les pop-corns soi-même, pour que la soirée soit plus « drôle ».
- On est d'accord qu'on avait parié avant-hier que si je le pécho, tu me payes deux mois d'abonnements spotify ? Rappelé-je à ma sœurette subjuguée par son écran.
Son habituel air malicieux rattrape son expression neutre.
- Oui, mais j'ai parié à moi-même que si je le pécho avant toi, je me paierai ces deux mois d'abonnements spotify que je n'ose pas me payer. Assure-t-elle l'air de rien.
Je lui ai foutu une petite bourrade dans les côtes et celle-ci a grimacé de douleur et de rire.
- Allez partage avec moi, il est pas mal craquant ton Pythagore quand même...
J'ai levé les yeux au ciel face à sa remarque. Et puis quoi encore, qu'il soit craquant ou pas, j'ai besoin de deux mois de musique sans ces maudites pubs de merde.
- C'est de la triche. Lâché-je honnêtement.
Elle fronce les sourcils.
- Développe Dom Juan.
Je me suis échauffé la voix, échafaudant le plan de mon argumentation rapidement avant de m'élancer :
- Déjà, primo, il ne veut pas me passer son numéro. Je lui demande à chaque fois, il me dit que je suis déjà assez dérangeant en vrai, alors au tel ça doit être pire encore. Deuzio, il est aussi hétéro que moi. Moi les filles, c'est facile, un sourire, des petites citations sur un auteur qu'elles aiment bien et hop, j'ai des yeux doux. Toi tu peux faire ça avec lui, moi si je fais ça, il me fait une énorme croche-patte et m'écrabouille les couilles. Tertio, j'ai sacrifié des rencontres phénoménales pour lui, maintenant j'essaye de le considérer comme LA rencontre tellement je suis désespéré ! LA rencontre quoi !
Elle s'est mise à ricaner. J'ai eu envie de lui faire bouffer ses cheveux.
- D'un, ne fais pas ta crise de jalousie, c'est comme ça sur le marché des cœurs à prendre. De deux, on en a parlé lui et moi et il m'a dit qu'il n'avait jamais pécho personne donc il ne sait pas. De trois, je connais son vrai prénom alors que toi non donc ne fais pas trop ton gars.
Je me suis tus. Elle avait toujours l'avantage dans ce genre de discut'. Elle finit par re-sourire de toutes ses dents et lancer :
- Trois mois d'abonnement si l'un de nous arrive à le pécho ce soir.
*
Pythagore est arrivé avec les paquets de maïs et son habituel sweat. Il a ses horribles cernes ces derniers-temps et ne pipe aucun mot. Comme d'habitude, il fait la bise à ma sœur. Les deux s'échangent un sourire complice. Faut pas que je perde.
J'ai caché mon désarroi lorsqu'il m'a toisé. On est resté debout l'un devant l'autre un moment avant que je ne coupe le silence.
- Salut Pyth'.
Sur le même ton nonchalant, il a répliqué un minable :
- Salut Thal'.
Ma sœur et lui ont utilisé la machine à pop-corn et leurs éclats de rire se sont entendus du salon. Pythagore avait un horrible rire, du genre « hahaha c'est extra ! ». Delphine s'est accrochée à son cou après avoir trébuché « accidentellement » et j'ai paniqué. Barnabé, pense à Spotify !
J'ai toussé très fort pour qu'ils me remarquent et instaurer un malaise dans la pièce. Tant mieux, eux deux ensemble ça ne me plaît pas.
Finalement, ils ont attrapé les bols de pop-corn et Pythagore a grogné lorsque j'ai mis du sucre partout.
- Je préfère salé. Lâche-t-il simplement.
Ma sœur a tout prévu, un bol de pop-corn salé en rab rien que pour lui. Elle marque tellement de points chaque seconde que je me demande si j'ai un problème ce soir. Je finis par capituler lorsqu'elle s'est mise à côté de lui sur le canapé deux places. J'ai juste enlevé mes chaussures pour être en chaussettes, ai fait la gueule toute la soirée en matant Hermione Granger interprétée par Queen Emma Watson à la télé.
Je me suis enroulé dans mon plaid boudeur et leur ai jeté des coups d'œil par moment. C'était atroce, on aurait dit qu'ils étaient en plein rencard. Est-ce que c'est normal de voir Pythagore, LE Pythagore trop chiant, en train de flirter ouvertement avec ma sœur ? C'est carrément dingue comme situation, le gars a quand même son bras autour des épaules de ma grande-sœur, la grosse folle qui se fait des paris à elle-même.
Par moment, le brun caractérisé par ma sœur comme « craquant » me fixait. Dans une belle histoire, son regard serait tellement intense que je tomberai fou amoureux de lui. Mais là, c'était plutôt un regard terrible qui voulait dire « ah ouais, de fou, t'es carrément de trop. »
J'ai ravalé ma rancœur et ai lancé des pop-corn sur eux, tel un vrai gamin.
- T'es chiant p'tit con ! Ronchonne ma sœur en posant sa tête sur l'épaule de Pythagore pour en éviter.
Génial, je les ai fait se rapprocher. Je me suis ennuyé jusqu'au moment où Voldemort a déboulé sur l'écran. Ah le voilà, le gars qui n'aura jamais à s'inquiéter de ses crottes de nez !
Les deux se sont endormis sur le canapé. J'ai pris sur moi, ai éteint la télé, leur ai posé le plaid en couverture et ai mis ma veste. Ils ont sûrement dû se pécho à un moment donné. Mince, c'est trop con, mais mon ego saigne.
Je préviens toujours ses victimes avant qu'elle ne les attaque. Ma sœur est diabolique. Et moi je suis une grosse merde qui ne sait pas draguer un gars alors que j'ai toutes les cartes en main.
J'ai pris un billet de 10 et ai soupiré en voyant l'heure. En n'oubliant pas d'amener le gel désinfectant offert par l'autre con d'il y a une semaine, je sors de chez moi. Barnabé déprime, il a besoin d'un Mcdo.
VOUS LISEZ
Le mauvais théorème de Thalès
Teen FictionBarnabé a la flemme de résumer son histoire ce soir. Il préfère juste te prévenir, cher lecteur ou lectrice, que son roman pour ados est très douteux mais très marrant (et ça c'est encore à vérifier). Par conséquent, Thalès te recommande de commence...