Chapitre premier

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« J'te la confie Castiel, t'as intérêt à prendre soin d'elle. »


« Elle », c'était Lily. Elle était arrivée à Sweet Amoris quelques jours seulement après Lynn, mais cette dernière avait déjà assez fait parler d'elle pour qu'on ne porte aucune attention à la seconde nouvelle élève. Même Peggy avait ignoré l'info. Castiel ne l'avait presque jamais remarquée au début, ou tout du moins il n'avait pas conscience qu'elle n'avait pas toujours été dans sa classe. De toute façon, il s'en fichait. Lily et ses longs cheveux noir de jais passaient inaperçus, elle ne se démarquait pas des autres avec ses vêtements continuellement sombres, un foulard noir autour du cou et une veste beaucoup trop large pour son corps légèrement rondelet. Sweet Amoris et le reste du monde n'en avait que faire de Lily, et Lily n'en avait que faire de Sweet Amoris et du reste du monde. Elle, elle ne participait pas à l'action. Le lycée depuis peu tournait souvent autour de Lynn et ses problèmes de cœur, ses grands projets, ses disputes et ses rivalités avec la pseudo-reine du lycée. Lynn était amie avec Rosalya, Lysandre, Castiel et Nathaniel, ce qui suffisait déjà à la rendre populaire. Son amitié avec Mélodie, Iris, Violette et Kentin était moins importante mais on la savait également proche de Kim et des jumeaux fraîchement débarqués. Beaucoup de choses s'étaient déroulées depuis lors comme le mystère du fantôme du lycée, la réconciliation entre Rosalya et son petit-ami Leigh, le vol des examens, la course d'orientation... Puis le concert.

  Lily aimait la musique, elle voulait y assister mais elle n'avait pu car sa mère l'avait consignée dans sa chambre afin de la punir des escapades nocturnes auxquelles elle se livrait depuis quelques mois. Enfin... en réalité, cela faisait bien longtemps que la jeune fille avait pris l'habitude de sortir en douce par sa fenêtre et troquer quelques heures de sommeil pour une balade au clair de lune. Mais cela s'était intensifié depuis son déménagement, elle voulait découvrir la ville et vadrouiller dans tous les coins, quand personne ne pouvait la voir. L'adolescente n'avait pas nié lorsque sa mère l'avait confrontée. Elle restait fidèle à ses principes : ne pas mentir et assumer ses actes. Malgré tout, si quelqu'un l'avait vu enfoncer son poing dans le mur dans un cri rageur parce que des barreaux furent installés devant sa vitre, l'empêchant de sortir, il aurait très vite compris d'à quel point elle était en colère. Elle se résigna donc à passer sa journée et son week-end à lire et à jouer à la console, ne revenant que le mardi matin en cours -elle n'était pas trop en forme la veille, où elle découvrit un nouveau scandale concernant Lynn : sa mésentente avec Debrah.
Pour être sincère, elle fut un peu étonnée des propos explicités dans le journal du lycée mais sachant que Peggy avait la plume facile, elle décida de ne pas en tenir compte. Après tout ce n'est pas comme si c'était important, de ce qu'elle voyait Lynn avait encore quelques alliés donc il ne servait à rien qu'elle essaie de l'approcher pour la soutenir. N'ayant rien de mieux à faire, elle observa les deux « camps » tout au long de la semaine et ne tarda pas à se rendre compte d'à quel point Debrah pouvait être détestable. Castiel le remarquerait bientôt, le talent d'observatrice dont faisait preuve Lily. Elle avait vu les prétendues larmes, les faux sourires et l'arrogance de la chanteuse ; elle avait vu l'hésitation dans le regard du rockeur, sa résignation, ses tourments intérieurs ; elle avait vu la douleur de Lynn, le rôle que jouait Alexy, la tristesse cachée de Lysandre qui ne savait que faire pour son ami ou encore les regards médusés et dégoûtés du reste de l'école. Elle n'avait pas vraiment envie de s'immiscer dans ces histoires qui ne la concernaient en aucun cas mais ce jour-là, elle vit Castiel assis sur un banc de la cour, les yeux perdus dans le vide. Il avait repris un style plus sobre, caractéristique de la période où Debrah et lui étaient encore ensemble ; il triturait ses doigts et fixait nerveusement l'écran de son téléphone en poussant des grognements dignes d'un prédateur de la forêt. La brune, censée se rendre à son cours d'histoire -tout comme lui d'ailleurs- choisit de venir se planter face à lui. Il releva la tête, agacé, et lui demanda ce qu'elle lui voulait d'un ton sec dont elle ne prit aucunement compte. Cette réaction lui rappelait Lysandre, ce qui n'aidait pas à l'apaiser jusqu'à ce qu'il remarque ses yeux. Derrière une mèche noire beaucoup trop longue se dissimulaient deux perles d'un ambre profond et hypnotisant qui, pendant quelques secondes, lui firent oublier ses soucis. Certaine d'avoir capté son attention, elle commença à parler d'une voix toute aussi neutre que son visage :

« Je ne te comprends pas. Je ne suis pas dans ce lycée depuis très longtemps, mais on me remarque tellement peu que les gens ne sont pas gênés de parler devant moi. Le jeune homme au style victorien, ton meilleur ami, t'a aidé à te remettre d'une rupture très douloureuse et a toujours été à tes côtés ; la jeune fille du même style est connue pour ne pas avoir la langue dans sa poche et défendre ses amis envers et contre tous, je l'ai déjà vue plaider ta cause au délégué principal. Et puis la demoiselle qui a rejoint notre classe il y a de cela quelques mois, cette demoiselle qui ne te laisse pas indifférent et tu ne peux le nier n'a jamais rien fait contre toi, si ? Elle a organisé un concert, et beaucoup de personnes t'ont donné de l'argent pour te racheter un ampli' ; elle a cru en toi lors du vol des examens, elle a gardé ton secret pour les répétitions secrètes au sous-sol. Ne te demande pas comment je le sais, je te l'ai dit on ne me remarque presque pas. Mais voilà que la fille qui t'a brisé le cœur revient et toi ami ingrat que tu es tu bois ses paroles et n'écoute qu'elle. Ce n'est même pas que tu la crois, c'est que tu as refusé d'écouter les autres. N'as-tu donc pas une once de reconnaissance envers tes amis qui EUX ont toujours été là pour toi, ceux qui t'ont toujours soutenu ? Cette chanteuse qui est revenue, ça se voit que tu as encore des sentiments pour elle, mais aussi que tu es tiraillé avec ceux que tu as pour Lynn. Mais le plus invraisemblable à mes yeux, c'est que ces amis qui ne t'ont jamais trahi du jour au lendemain tu les rejettes ; pour quelles raisons dois-tu plus la croire elle que les autres ? Pour moi tu n'es qu'un imbécile. Cesse ton espèce de paranoïa idiote, ils ne sont pas tous contre ta chère et tendre ! Je ne connais pas Lynn, elle est simplement arrivée une bonne semaine avant moi au lycée, mais de ce que j'ai vu elle est plus du genre à chercher à s'entendre et aider tout le monde plutôt que de mentir et créer des problèmes. Je me trompe ? Est-ce que, dans toute cette histoire, tu n'as ne serait-ce qu'une seule fois réfléchi par toi-même au lieu de croire bêtement les dires de Debrah ? »

Les paupières du soit-disant rebelle de Sweet Amoris clignèrent plusieurs fois alors que son interlocutrice repartait en sens inverse, se rendant certainement à la salle des délégués pour récupérer un billet de retard. Il n'avait jamais vu cette fille, ou alors il ne s'en souvenait pas, et voilà qu'elle arrivait comme une fleur et déballait un speech de cinq minutes sur quelque chose qui ne la concernait pas ! Il grogna à nouveau, encore plus énervé et attrapa d'un mouvement brusque son sac pour le jeter sur son épaule avant de sortir de l'enceinte du lycée et rentrer chez lui. L'accueil chaleureux de son fidèle beauceron lui arracha un léger sourire, il tapota gentiment le flan de Démon avant de se laisser tomber sur le canapé, une chaussure lancée au hasard dans l'appartement et l'autre à moitié accrochée à son pied. Un long soupir s'échappa d'entre ses lèvres, cette fille le perturbait. Son regard le perturbait. Elle avait rejoint Sweet Amoris peu après Lynn de ce qu'il avait compris, mais c'est à peine s'il avait découvert son existence aujourd'hui. Castiel éteignit son téléphone trop bruyant à son goût -Debrah parlait trop- et ferma les yeux pour se remémorer l'image de l'adolescente. Une longue chevelure brune plus sombre que le plumage d'un corbeau qui atteignait le haut de ses hanches, un nez fin, une peau pâle et un piercing à l'hélix sur son oreille droite qu'il avait remarqué lorsqu'en parlant elle replaçait une mèche derrière. Elle portait un bonnet gris vissé sur le haut de son crâne et un foulard noir qui devait avoir fait la guerre, ainsi qu'une veste de même couleur beaucoup trop large. Une veste d'homme, songea-t-il. Peut-être avait-elle quelqu'un ? Elle était mignonne, ce n'était pas impossible. En se concentrant un peu plus il se rappela du petit pull grisé qu'elle portait en dessous, de son jean blanc ainsi que de ses vieilles converses tout droit sorties d'un affrontement palpitant au vu de leur état. Le guitariste rit un peu, pas du genre à se prendre la tête celle-là conclut-il de ses vêtements sans aucun doute choisis pour leur confort plutôt que pour leur aspect.
Et puis il y avait ses yeux. Il ne les avait pas remarqué tout de suite, mais lorsque ce fut le cas il se noya littéralement dedans. Couleur ambre. Les yeux d'un animal. Ce n'était pas la première fois qu'il en voyait, le boulet principal -surnom « affectif » donné à Nathaniel- et Rosalya avaient les mêmes, mais ils n'avaient rien en commun avec ceux de... de qui déjà ? Elle n'avait pas dit son nom l'idiote ! Tant pis, puisqu'elle ne se faisait jamais remarquer ou presque, il pouvait bien se permettre de la considérer comme une sorte de fantôme.
L'apparition, donc, avait des iris d'une teinte particulière. Contrairement à Rosa et Nathaniel qui en possédaient d'une couleur pâle et fade, ceux de l'étrange demoiselle pétillaient et semblaient renfermer tout un monde merveilleux que le rockeur avait, l'espace d'une seconde, pu entrevoir. Il ne la connaissait pas, il ne savait rien d'elle et elle l'avait énervé. Mais il voulait revoir ses yeux. Peut-être qu'au fond ils les avait rêvés, qu'ils n'étaient pas si magiques, mais alors Castiel se devait de vérifier. Il songea un instant à retourner en cours mais en voyant l'heure sur l'écran de sa télévision -allumée depuis qu'il s'était écrasé sur la télécommande en rentrant- il se dit que le temps qu'il mettrait pour se faire serait celui qu'il faudrait à la jeune fille pour rentrer chez elle. Tant pis, je la verrai lundi. Puis, dans un élan de courage, il se releva pour aller chercher de quoi grignoter.

De son côté, Lily était effectivement retournée dans la vieille maison familiale dont sa mère venait d'hériter. Elle n'y était jamais venue avant pour la simple et bonne raison qu'elle avait depuis toute jeune déjà refusé de connaître sa grand-mère, voire même tout le reste de sa famille. Sa mère, Anne, avait rapidement accepté le caractère solitaire et effacé de sa fille, se disant que cela était sûrement sa faute et celle de l'homme qui l'avait abandonnée peu après l'annonce de la grossesse. Elle avait essayé de lui parler, depuis le premier jour -vers ses 5ans- où Lily avait rencontré sa famille et refusé obstinément de les approcher elle avait essayé de comprendre, mais la petite brune s'abstenait de toutes confidences. Elle avait seulement laissé entendre qu'il ne fallait pas leur faire confiance mais Anne n'avait aucune idée de comment l'interpréter. Plus son enfant grandissait et plus elle la sentait s'éloigner : ses secrets, ses excursions nocturnes, ses amis... En avait-elle au moins ? Elle n'en parlait jamais. Elle ne parlait de rien. Même lorsqu'il s'agissait de choses importantes telles que ses bulletins elle se contentait de hocher la tête ou acquiescer, aucune menace ne l'inquiétait. Alors Anne laissa tomber. Elle nota néanmoins que pendant une certaine période son enfant était plus ouverte, plus apte à la discussion. Pour des choses futiles certes mais cela était mieux que rien. Puis du jour au lendemain elle était redevenue comme avant. Avec quelque chose de... différent. Elle avait pris conscience des tourments de sa mère, alors elle était venue la rassurer, lui disant que cela n'avait rien à voir avec elle ou son père, simplement avec sa façon d'être. Et puis lorsque Anne se remaria et eut un nouvel enfant elle accueilli la nouvelle avec un sourire sincère et aida de bonne volonté à la maison. Théo était son exact opposé : toujours joyeux et souriant, sociable, besoin constant d'attention. Il avait sept ans de moins qu'elle et déjà lucide du fossé qui le séparait de sa grande-sœur, mais cela ne l'empêchait pas de tenir beaucoup à elle. Lui aussi semblait avoir hérité d'un certain talent d'observateur, il connaissait mieux Lily qu'il n'y paraissait et c'est pour cela qu'il déculpabilisait leur mère du mieux qu'il pouvait.

« Salut ma belle, ta journée s'est bien passée ?
-Ah John ? Salut !
commença-t-elle en ôtant ses chaussures, je suis passée en ville avant de rentrer.
-Y'a un truc pour moi ?

Un jeune garçon de dix ans environ déboula dans la cuisine qui servait également d'entrée, un grand sourire aux lèvres. Bien que ses parents soient tous deux blonds, il avait lui aussi hérité d'une tignasse sombre coupée courte et ébouriffée, ainsi que des yeux océans de son père et d'un grain de beauté sous les lèvres de sa mère. Il sauta la dernière marche, venant se planter devant sa sœur qui lâcha un petit rire.
-Oui oui attends impatient !
-Bonjour ma chérie !
-Salut m'man.

Anne et John furent gagnés par les sourires de leurs enfants. La quarantenaire se disait que la naissance de Théo était certainement la plus belle chose qui soit arrivée à Lily, car il lui communiquait son bonheur sans même s'en rendre compte. L'adolescente farfouilla un moment dans son sac pour en extirper quatre pâtisseries -un flan, deux éclairs et une religieuse au chocolat- avant de tendre à chacun sa préférée.
-J'ai aussi autre chose pour toi, dit-elle tout en tendant un petit coffret à sa mère. Je trouvais que ça irait bien avec la robe que tu t'es achetée l'autre jour.
-Lily...
en ouvrant la boîte, elle y découvrit une paire de boucles d'oreilles argentées en forme de fleurs, et un faux-diamant au milieu. Merci ma chérie, fallait pas tu sais... »

Anne l'enlaça toute heureuse, puis tous dévorèrent leurs gourmandises. Elle regarda à nouveau les boucles qui animèrent en elle un léger sentiment de nostalgie. Du plus loin qu'elle s'en souvienne, ce n'était pas la première fois que Lily lui faisait des cadeaux sans raison. C'était sa façon de montrer à une personne qu'elle l'aimait, parce qu'elle n'était pas vraiment douée pour le dire.
Le goûter terminé, l'adolescente remonta rapidement les escaliers pour s'enfermer dans sa chambre et donner un baptême de l'air aux vêtements qu'elle portait afin d'enfiler un vieux short et un débardeur blanc. Elle natta négligemment ses longueurs pour dégager sa vue puis se posta devant les barreaux de sa fenêtre. Elle voulait sortir. Elle ne se sentait pas bien là, enfermée. De timides coups donnés à la porte la tirèrent néanmoins de ses pensées et elle alla ouvrir à Théo qui, sans lui donner plus d'explications, attrapa sa main pour l'emmener avec lui. Les cartons n'étant pas encore tous déballés, elle manqua deux-trois fois un aller simple sur la moquette mais réussit par un miracle quelconque à atteindre la chambre du plus jeune qui se mit à nouveau à rire.

« Joue avec moi ! »

Elle soupira, fit une petite moue, puis acquiesça finalement et s'installa sur le lit pour démarrer une partie de Mario Kart. 

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