Chapitre huitième

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« Tu t'expliques, maintenant ? »

Il ne savait plus quoi penser. Elle n'avait jusqu'alors jamais véritablement rechigné à lui faire quelques révélations quant à son histoire, mais là elle semblait profondément hésiter. Elle lui apparaissait perdue et faible, tellement faible... Alors qu'il la voyait habituellement comme un être en dehors de tout, qui se faisait confiance et traçait son petit bonhomme de chemin sans se soucier des autres autour d'elle. S'il avait eu envie de la protéger, c'était probablement parce qu'il n'était sorti qu'avec des filles banales, parce qu'on lui avait inculqué l'idée que l'homme protégeait la femme coûte que coûte. Mais Lily savait se débrouiller, elle traînait seule la nuit depuis longtemps et avait déjà fait quelques mauvaises rencontres qu'elle avait su contourner. Puis il l'avait vu veiller sur son petit frère, sa meilleure amie ou même sur Lynn et Ambre alors qu'elle ne les supportait pas ; il avait capté son regard attentif sur les demoiselles qui se crêpaient le chignon, à la limite d'intervenir avant qu'elles n'en viennent aux mains si môssieur le délégué ne s'était pas pointé pour calmer sa sœur. Castiel attarda un peu plus son regard sur la jeune fille, venant délicatement passer une main dans ses cheveux. Elle frémit, et il se remémora la fois où il avait tenté de l'embrasser, le seul moment où il l'avait vue réellement perturbée par quelque chose. Il aurait pu l'épargner, parce qu'il se rendait enfin compte qu'elle était parfois très fragile, mais il avait besoin de savoir, de la comprendre. Alors il se contenta de l'étreindre le plus délicatement possible pour ne pas la briser, et serra les poings en se disant qu'il n'apprécierait probablement pas ce qu'il allait entendre. Elle murmura un soupir avant de finalement se résoudre à répondre, relevant la tête pour retirer son écharpe et dévoiler son cou presque plus blanc que le reste de sa peau tellement elle l'exposait peu.

« Ça risque d'être long...
-Je t'ai déjà dit que j'avais tout mon temps pour toi.

Le musicien fixa sa nuque comme s'il s'agissait d'une zone interdite qu'il contemplait par infraction, se retenant d'y faire courir ses doigts.
- Je vivais dans une autre ville, avant. Puis nos mères ont décidé de travailler ensemble et j'ai emménager juste à côté de chez Sacha quand j'avais deux ou trois ans. J'ai grandi avec elle, son frère Joy et leur voisin Olympe bien que les deux garçons se détestaient assez pour faire passer Ambre et Lynn pour les meilleures amies du monde. On a toujours été ensemble, et on a toujours été très proches les uns des autres. En plus... Olympe a toujours été un peu particulier. Il vient d'une famille bourgeoise mais ses parents vivent en campagne, ils sont assez humbles dans le fond. Et ses parents sont adorables. Mais lui il... sa mère m'a dit qu'il deviendrait probablement un tueur ou quelque chose comme ça un jour. Ne me regarde pas comme ça ! Il n'a jamais rien fait. Enfin, il s'est déjà battu pour un rien et a envoyé pas mal de monde à l'hôpital, mais il n'a jamais franchi la limite tu vois ? Et d'après ses parents c'est parce que j'étais là. On s'est lié à notre façon, on a toujours été très dépendants l'un de l'autre. Je sais pas comment l'expliquer... je ne supporte pas d'être sans lui, mais en même temps on ne peut pas rester ensemble avec des gens autour de nous. C'est bizarre. On a été cinq ans en couple officiellement mais en soit c'est les autres qui nous on défini comme tels, tout s'est fait naturellement et on est pas vraiment séparé non plus...
Les derniers neurones encore en vie de Castiel venaient de griller sur place. Il essayait d'assimiler toutes ces informations et de trier le plus important, mais tout lui semblait l'être. Il n'avait pas compris. Il pensait qu'elle avait énormément souffert de sa rupture tout comme lui, mais il n'avait jamais imaginé que leur relation avait une ampleur pareille. Bien sûr que Debrah l'avait marqué plus qu'il ne l'avouait, mais cela n'était rien en comparaison avec l'intensité de la relation entre Lily et le dénommé Olympe. Il le sentait rien qu'au son de sa voix, à la façon dont elle en parlait avec ce léger sourire qu'elle affichait parfois lorsqu'elle dessinait, à ses paupières qui battaient plus vite que les ailes d'un colibri pour retenir ses larmes. Il ne l'aimerait jamais comme lui, et elle ne l'aimerait jamais comme elle l'aimait. Elle ne l'oublierait pas, elle ne passerait pas à autre chose, et il ne savait pas s'il le supporterait. Troublé, il ferma les yeux pour faire passer le déluge d'émotions qui le traversait et laissa sa tête basculer en arrière.
-Et ton écharpe ? Ça a un lien avec lui n'est-ce pas ?
-Oui... Quand on avait 14 ou 15 ans on s'est retrouvé chez Olympe pour boire, tester différents alcools qu'il avait récupéré je ne sais comment. J'ai détesté, mais lui s'est enfilé une bouteille de vin en un temps record. C'est ce soir là qu'on a découvert qu'il avait vraiment l'alcool mauvais...
-...Il t'a frappé ?

Pas besoin qu'elle le dise à haute voix pour qu'il comprenne, et elle n'avait pas terminé qu'il fourmillait déjà d'idées de lieux où cacher un cadavre. Elle releva ses yeux d'un autre monde vers lui, et se pelotonna un peu plus dans ses bras en tirant sur sa veste pour qu'il la regarde. Que toute son attention soit sur elle, qu'il l'écoute, qu'il saisisse tout ce qu'elle avait pu ressentir et ressentait encore en ce moment-même. Elle était terrifiée à l'idée qu'il s'énerve à propos de ce qu'il considérerait sans doute comme d'immenses conneries de sa part, parce qu'elle aimait trop Olympe pour agir autrement. Il l'avait lu dans son regard.
-Je ne me rappelle pas de tout, je revois juste Joy et lui se battre, ses mains autour de mon cou pendant qu'il pleurait. Je ne l'avais jamais vu pleurer avant ce jour là, même enfant il avait apprit à se retenir. Il ne cherchait pas à me faire du mal, quoi que tu en penses, il avait peur et je ne sais pas de quoi car il était incapable d'aligner deux mots corrects. J'ai dû garder une écharpe pendant environ deux semaines histoire que les bleus disparaissent, et cette habitude m'est restée. Il n'a plus jamais bu et j'ai eu un mal fou à le faire sortir de chez lui. Ça m'arrive de repenser à ce soir là et le pire, c'est que ce n'est pas sa violence passagère qui me rend malade. C'est de repenser à lui dans cet état lamentable, faible et délirant, c'est de repenser à lui que ce soir là je n'ai pas pu aider.
-...Je ne sais pas si j'arrive vraiment à saisir, à quel point votre relation est tordue. En fait, je devrais même dire malsaine, parce que je ne vous ai jamais vu ensemble et je sais déjà que vous vous aimez plus que tout. Je sais que malgré les sentiments qu'on a tous les deux, ça ne vaudra jamais ça. Et j'avoue que dans un sens ça me rassure. Aimer autant, Hally, rien que de l'imaginer ça me fait peur.

Il se pencha lentement, déposant ses lèvres sur la paupière fermée de la demoiselle, puis il se releva en l'aidant à en faire de même et l'attira contre lui.
-Je suppose que c'est lui que tu as vu toute à l'heure.
-Un autre côté de notre relation... morbide, comme la qualifie Sacha. Il y a un an il est parti sans rien dire mais il continue à me suivre, je le sais, et moi je lui laisse des indices pour me retrouver. On reste ensemble, à notre façon. »


Le jeune homme s'était tu, se contentant de profiter de la présence de Lily. Elle, elle protégeait les gens de manière invisible, elle était une présence réconfortante qui semblait flotter autour de vous et que vous ne parveniez jamais à attraper. Mais là il la tenait dans ses bras, et que ce soit symboliquement ou non il ne comptait pas la lâcher. Il plongea son visage dans ses cheveux emmêlés par la brise et osa lâcher quelques larmes, chose qu'il n'aurait jamais cru faire devant quiconque et encore moins la fille qu'il aimait. Même Lysandre ne l'avait jamais vu ainsi, et cela n'était pas prêt de changer. Peut-être qu'il n'arriverait jamais à vraiment assimiler l'amour que se portaient Lily et Olympe, mais il la voulait près d'elle. Il voulait la découvrir toujours plus, il ne supportait pas l'idée que quelqu'un d'autre réussisse à l'approcher de cette manière. Ça me tue, mais il n'y a qu'avec lui que je peux la partager. Castiel se pencha légèrement, juste assez pour atteindre son oreille avant de lui murmurer : « Ça me va. J'ai tout mon temps pour toi, Lily. Je n'essaierai pas de te le faire oublier, ce serait peine perdue de toute façon. Je veux juste être avec toi, tout le temps. ».

• • •

Les heures avaient filé sans qu'ils ne s'en rendent compte. Les deux adolescents étaient restés un long moment sur le toit, à profiter de la présence l'un de l'autre sans se soucier du reste. Ils avaient manqué la chasse aux trésors et de nombreux messages de leurs parents, mais ils s'en fichaient comme de leur première chaussette. Silencieux, ils descendirent de leur repaire sans échanger la moindre parole -bien que cela ne fut pas gênant- et se séparèrent au détour d'un couloir, afin de rejoindre leurs familles. Lily esquissa un doux sourire et se redressa pour embrasser la joue du rockeur avant de vite rattraper ses parents et son petit-frère, laissant son ami se faire attraper par sa mère qui le harcela de questions quant à ses joues cramoisies.
Les jours suivants, la vie au lycée avait reprit son cours et tout semblait comme d'habitude à l'exception du fait que Castiel était continuellement dans la lune et que la dessinatrice brillait par son absence -pour ceux qui le remarquaient, du moins. Lynn en avait d'ailleurs profité pour s'installer à côté de son amant rêvé en cours, qui s'était contenté de hocher la tête avant de reporter son attention sur la fenêtre à sa gauche. Lysandre jetait des regards à la dérobée à son meilleur ami, mais préférait attendre sagement qu'il vienne lui parler de lui-même. La journée se passa assez tranquillement si l'on omettait le fait que Lynn ne cessait de parler, et de Nathaniel en plus ! Elle semblait inquiète par rapport à diverses choses, si bien que le guitariste ne put s'empêcher de s'énerver -surtout que la veille, elle était venue lui dire qu'elle le quittait sans raison et sans qu'il ne comprenne le sens même de cette phrase. Mais il ne pouvait pas la repousser totalement non plus, il la considérait comme une amie et elle parlait de violence et d'équimoses. Lui ayant intimé de se calmer et de respirer avant de reprendre, il parvint à l'apaiser légèrement et écouta ensuite toute son enquête autour des bleus du délégué, sa nuit chez eux -comment avait-elle fait d'ailleurs ?- et l'aveu du garçon comme quoi son père l'avait battu. Malgré sa rancœur envers l'adolescent, il ne pouvait cautionner cela et aida donc la demoiselle à contacter des aides sociales. Tout cela prit pas mal d'envergure avec la convocation des parents des faux-jumeaux au lycée et la dispute entre lui et Lynn, jusqu'à ce que Castiel lui évoque l'idée de se faire émanciper. Et ce fut un succès ! Cette histoire s'écoula sur deux semaines environ, pendant lesquelles la nouvelle se réconcilia avec son ami et alla même l'aider à choisir un chaton, entraînant une folie animalière parmi leur petit groupe.
Et durant tout ce temps, Lily ne pointa pas une seule fois le bout de son nez.

Le mot d'ordre de Lysandre était de ne pas s'immiscer dans les affaires d'autrui, cependant son amie aux étranges iris ne répondait que très peu aux messages et ne venait plus en cours tandis que Castiel était constamment à l'ouest. En ayant plus qu'assez -même Violette s'inquiétait- il décida d'attendre la fin de leur cours d'histoire pour entraîner le pseudo-rebelle dans un coin, se plantant face à lui en le fixant droit dans les yeux. Le rouge grimaça mais se laissa faire, sentant bien qu'il ne pourrait pas y couper cette fois-ci.

« Castiel, tu sais ce que je pense de la curiosité mal placée n'est-ce pas ? Cependant là je commence à vraiment m'en faire, je n'ai presque aucune nouvelle de Lily et tu n'es pas en forme non plus. Il s'est passé quelque chose lors de la réunion des parents d'élèves ?
-...Ouais, on peut dire ça. Je voulais t'en parler, vraiment, mais je me le sentais pas. C'est trop... bizarre, comme histoire. Ce soir si tu veux, on va prendre un verre et je t'expliquerai tout. Tout ce que je peux te dire c'est que l'ex de Lily est dans le coin, qu'il bosse au bar derrière la boutique de ton frangin et qu'elle est avec lui, que sa mère est au bord de la crise d'hystérie et que la seule raison pour laquelle elle n'a pas pété un plomb a sept ans, fait 1m10 et ne cesse de faire des bêtises idiotes pour attirer l'attention. Oh, et j'ai dû convaincre ses voisins de ne pas contacter la police.

Le victorien constata que Castiel essayait sans aucun doute de se retenir depuis longtemps, mais il était dans une colère noire et ne tarderait pas à exploser si personne ne désamorçait cette bombe à retardement.
-J'ai du mal à tout saisir mais... tu as essayé d'aller la voir ? Ou lui ?
-Je ne sais pas à quoi il ressemble et ils n'ont pas de badges avec leurs noms là-bas. Je suis bien allée voir Sacha, mais elle m'a dit qu'il valait mieux la laisser tranquille. Elle ne semblait pas en forme non plus. Je sais seulement qu'après la réunion et tout ça, Lily est rentrée, a préparé ses affaires et dit à sa mère qu'elle allait chez un ami avant de partir avec sa chienne.
-...Je ne sais pas quoi te dire, Cass. Tu la connais mieux que moi après tout.
-Elle m'avait dit que s'il revenait elle se jetterait probablement dans ses bras. J'ai plus qu'à attendre.
-Allons dans ce bar ce soir. Il sera peut-être là qui sait ?
-S'tu l'dis... »


Ainsi, après la fin des cours les deux musiciens s'étaient-ils rendus au Tabouret Sauvage, surnommé le « Tabou » pour faire plus court et puis parce que vraiment, quel nom de merde ! Lysandre n'ayant pas eu le temps de se changer, il portait l'une des dernières créations de son frère qui arborait des tons bordeaux et noirs et lui donnait un air un peu plus adulte,  contrairement à la personne avec laquelle il sirotait une bière qui n'avait pas fait grand effort et s'était contentée d'un jogging vieux du siècle dernier et un t-shirt noir. Il s'était interrompu en pleine course pour venir ici, ayant bien l'intention de repartir se défouler ensuite car peu certain de trouver le dénommé Olympe ce jour-là, bien que ce nom soit assez peu commun. Parmi tous les serveurs présents, son regard fut attiré par un homme sans doute de quelques années plus vieux qui flirtait ouvertement avec un lycéen dans sa classe de science. Marc, Max, quelque chose comme ça. Une peau un peu plus matte que la plupart des personnes présentes ici, des cheveux noirs mi-longs vulgairement liés dans une petite queue-de-cheval et des yeux bruns en amande qui lui donnaient un certain charme. Il portait la tenue du bar qui lui allait parfaitement bien d'ailleurs -et le rockeur ne se gêna pas pour le reluquer, après tout rien ne lui interdisait de faire profiter ses yeux- ainsi qu'un bracelet fait d'une tresse de cheveux. Pour une raison obscure, il n'arrivait pas à se détacher de cet homme qui, en le remarquant, lui adressa un étrange sourire. Qu'il ne s'imagine pas qu'il le draguait ! Mais quelque chose clochait. Sa façon de se tenir -trop droite, ses phrases mielleuses enrichies de beau vocabulaire qu'il entendait jusqu'ici... Puis il tiqua, et lorsque l'objet de son questionnement actuel arriva pour prendre leur commande, la seule chose que Castiel réussit à faire fut de murmurer un nom :

« Olympe.
-En effet. Et toi c'est Castiel, sans aucun doute.

Lysandre fronça les sourcils, il n'avait eu qu'un résumé des événements mais avait sans aucun mal retenu ce nom. Le corps du guitariste se crispa tandis qu'il se retenait de toutes ses forces pour ne pas lui exploser la figure sur la table là, maintenant, et ce fut pire encore lorsque l'autre posa une main sur son épaule.
-Si tu veux la voir, suis-moi. Je prends ma pause les gars ! Magne, j'ai pas tout mon temps. »

Sans un mot les deux amis échangèrent un regard, Lysandre acquiesçant tandis que son compagnon se levait rejoindre le serveur. Il était loin d'être comme il se l'était imaginé -en fait, il n'avait pas vraiment prit la peine d'essayer- mais peu importe, il lui semblait détestable. Cette façon de sourire, ces regards doux lancés à toutes les filles et les tous les mecs canons qui passaient, Lily l'aimait bordel ! Et il l'aimait aussi, Castiel n'en doutait pas le moins du monde. Mais alors pourquoi agissait-il ainsi ? Pourquoi se permettait-il d'aborder ces inconnus alors qu'elle était enfin près de lui ? Ils marchèrent sans bruit jusque dans la ruelle derrière le bar, puis Olympe se retourna face à un bâton de dynamite à la mèche consumée. Un énorme sourire étira ses lèvres.

« Allez, colle m'en une, t'attends que ça.

Castiel ne comprenait pas, mais il n'allait pas se faire prier.  

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