Non ! Rien de rien...
Non ! Je ne regrette rien...
C'est payé, balayé, oublié,
Je me fous du passé !
La bibliothèque et la salle de lecture étaient deux grandes pièces mitoyennes et pas plus peuplées que le reste de l'établissement. Il y avait là deux hommes.
L'un était fin comme une aiguille à tricoter, vêtu de discrète flanelle. Il se tenait debout devant une étagère de bois, au niveau d'une belle statue de dryade en régule, et parcourait les pages d'un livre assez épais en murmurant d'absconses formules alchimiques. Ses lunettes rondes lui donnaient un air scolastique.
L'autre était à demi étalé sur une méridienne comme un éléphant de mer échoué sur une plage ; son costume ne pouvait avoir été que taillé sur mesure, au vu de sa corpulence. Il feuilletait un essai.
« Bonjour, messieurs, dit Basile.
— Bonjour, dit l'érudit.
— Bonjour, dit l'éléphant.
Ce dernier se rendit compte que Basile était un nouveau venu. Sans se lever complètement, il lui tendit une main graisseuse.
— Archibald Stockholm. Je suis philosophe, écrivain, éditorialiste et artiste plasticien.
— Basile, enchanté. Et ce monsieur est...
— Aucune idée. Un érudit. Il ne parle pas notre langue, mais j'ignore s'il s'en rend compte.
— Calgorcat medol fo lenar gicianlor, dit l'érudit.
À son expression, cela ne devait pas être une insulte, mais une sorte d'explication. Il poursuivit durant quelques phrases, puis Stockholm l'interrompit d'un geste de la main.
— Bien, bien, très bien, dit-il. Venez, monsieur Basile, allons boire un verre en bas.
Archibald s'extirpa de sa position et se lança sur le chemin dans une grande conversation, dont il était pratiquement le seul contributeur. Basile se contentait de hocher la tête distraitement ou de répondre par l'affirmative à ses questions.
— Ainsi, vous êtes arrivé ici par hasard ? Oserais-je vous croire ? Ça par exemple. Eh bien, je crois que ce fut la même chose pour moi, en fait. Je suis arrivé par hasard. Quand on y pense, c'est remarquable. Je vous ai dit que j'étais philosophe ? Philanthrope, pour être exact. Je dirige la Société des Amis de l'Humanité. Une œuvre exceptionnelle. Nous participons à diverses œuvres de charité, nous organisons des événements, des congrès, des dîners, des galas... je suis entouré de gens exceptionnels. D'ailleurs, comme j'y pense, peut-être êtes-vous intéressés. Diantre, j'ai failli oublier cela ! Ma carte. Je retrouve ma carte.
Il chercha dans les poches de sa veste, dont les boutons semblaient prêts à craquer.
— Ça par exemple. Je ne l'ai plus. Je dois l'avoir laissée dans ma chambre. Ce n'est rien. Vous ne partirez pas d'ici sans ma carte, monsieur Basile, sachez le bien. Dites-moi, vous êtes ici pour affaires ? Voyage touristique ? Non, attendez... le vieil Archibald va deviner pour vous... je dirais... voyage. J'ai juste ? Évidemment. La tempête, dites-vous ? Oui, cela est normal. Une tempête effroyable. L'enfer est vide, a dit Shakespeare, tous les démons sont ici. Vous ne connaissez pas cela ? C'est dans la pièce, La tempête. Une pièce formidable. J'y étais quand ils l'ont jouée, au théâtre... je ne me souviens plus du nom... je retrouverai. Ça ne fait rien. Je vous ai dit que j'étais écrivain ?
— Vous me l'avez dit, je crois.
Au comptoir, Stockholm héla le réceptionniste.
— Ferdinand ! Est-ce que vous pouvez nous apporter deux liqueurs de poire bien fraîches ? Le cocktail de la maison. Pour moi et monsieur Basile. Nous prendrons cela au salon. Vous le mettrez sur ma note, bien entendu.
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Le chant des ombres
Short StoryAlice voudrait bien sortir de cette grande maison où elle a toujours vécu ; mais elle n'a pas encore retrouvé la clé. Chacun à sa manière tente de lui proposer une alternative : cesser de voir, de penser, de vivre. Depuis quelques temps, le cube est...