J'écrasai dans mon poing la Terre comme un fruit,
Quelque chose en son sein, pourtant, me résistait,
Comme un noyau fermé qui voulait subsister.
Et ce cocon ? L'humain ! Que j'avais déconstruit !Quoi ? Quoi donc ? Pourquoi lui ? Pourquoi cette vermine,
Pathétique xanthie que mon aura domine ?
Il ne durerait pas, car l'homme est éphémère.
Refermé sur lui-même, il se dessécherait,
J'attendrais patiemment. Ce serait mon trophée,
Papillon épinglé parmi d'autres chimères.
Alice regardait les ombres batailler sur le plafond de sa chambre.
Tapi dans le coin de sa chambre comme un fauve sur le point de bondir, le cube y découpait au cordeau un pan d'obscurité. Il semblait attendre. Attendre qu'elle fasse un pas dans sa direction. Chaque jour il grandissait un peu plus, se nourrissant de la pénombre, ou l'apportant avec lui.
« Tu n'étais pas là, avant, nota-t-elle en essayant de se souvenir.
— J'ai toujours été là, dit le cube, même quand tu ne me voyais pas. »
Elle ne broncha pas.
Le réveil la sonna avec son impertinence habituelle. La blancheur des premières heures du jour effaça le cube comme un mauvais rêve.
« Il faut te lever, Alice », dit le réveil.
Elle agita les pieds en tâtonnant, trouva le sol, alla se vêtir et se peigner, par habitude, devant le miroir.
« Bonjour, Alice », dit le miroir.
C'était un grand miroir de plain-pied, encadré d'une boiserie et de plusieurs étagères – maquillage, peignes, rubans. Il lui renvoyait chaque objet dans la chambre. Les personnages de pâte à modeler assis sur l'étagère étaient figés dans un embryon de bagarre, causé par leurs jeux d'argent, cartes plantées dans leurs mains larges et irrégulières. Le chat en peluche émergeait de sous l'armoire en traînant derrière lui quelques moutons de bourre synthétique, comme un animal paresseux. Et puis il y avait ces dessins, un peu partout, épinglés à la tapisserie jaunie des murs, remontant à si loin qu'elle ne se souvenait pas de les avoir réalisés. Le papier, maintenant parchemin, s'était flétri en vieillissant avec elle.
« Bonjour, miroir, dit Alice en attachant ses cheveux.
— As-tu bien dormi ? demanda le miroir.
— Je ne m'en souviens pas.
— Cela veut dire que tu as bien dormi, indiqua-t-il.
Il lui semblait que quelque chose manquait dans la vitre.
— Je peux voir toute la pièce, dit-elle, mais pourquoi pas moi ? Pourquoi ne suis-je pas dans l'image ?
— J'étais sûr que tu poserais la question, dit le miroir. Vois-tu, autrefois, les hommes pouvaient se regarder dans un miroir. Et c'était même la raison d'être de l'objet. Mais ce qu'ils y voyaient, ils ne le méritaient pas – soit que le miroir leur renvoie leur propre dégoût, soit leur propre complaisance. Alors ce n'est plus le cas.
— Je comprends, dit Alice.
— Mais je peux te dire, ajouta le miroir, que tu as de très beaux yeux bleus.
Elle le remercia gauchement.
— J'ai vu quelque chose avant de me réveiller, reprit-elle. Le cube. Il a grandi par rapport à mon précédent souvenir ; il est même aussi grand que moi désormais.
— Oui, dit le miroir. Il est assez grand pour que tu puisses entrer à l'intérieur.
— Pourquoi y rentrer ?
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Le chant des ombres
Short StoryAlice voudrait bien sortir de cette grande maison où elle a toujours vécu ; mais elle n'a pas encore retrouvé la clé. Chacun à sa manière tente de lui proposer une alternative : cesser de voir, de penser, de vivre. Depuis quelques temps, le cube est...