Comme on était en hiver en dehors de la boucle, la nuit était en train de tomber sur la ville. Au moins, nous serions plus discrets pour faire... je ne sais quoi, d'ailleurs. Ombre, toujours aussi mystérieux, refusait de me dire pourquoi il avait insisté pour qu'on passe par Aberystwytle. La pluie avait cessé, fort heureusement, mais les rues plongées dans les ténèbres n'étaient pas sans rappeler l'image que j'en avais eut dans mon cauchemar quelques heures plus tôt, ce matin même. Heureusement que mon don n'était pas celui d'avoir des rêves prémonitoires ! Je n'ai pas put m'empêcher de plaindre (un peu) Horace : si, à chaque fois que je faisais un cauchemar, je savais qu'il se réaliserait un jour, ça ferait longtemps que je ferais une dépression ! Mais bon, au bout d'un moment on doit s'y habituer.
Les ruelles étroites de la ville étaient pleines de flaques d'eau, et les voitures rangées sur la bas-côté étaient trempées et ruisselaient de part en part. Comme je n'avais pas de chaussures très épaisses et que je ne tenais pas à avoir les pieds mouillés, je faisais attention à l'endroit où je les posais. Je marchais en tête, Millard restant un peu en retrait à un ou deux mètres derrière moi, plongé dans ses réflexions, silencieux. Ombre me semblait plus présent qu'auparavant, il jubilait, surexcité, pour une raison dont j'ignorais tout. Peut-être était-il juste content d'avoir obtenu ce qu'il voulait.
Soudain, au détour d'une rue encore plus sombre que les autres, j'ai entendu un bruit de voix venant d'une autre rue non loin de là. Je me suis figée sur place, et Millard m'a imité. J'ai sentis Ombre tendre les oreilles dans cette direction, et puis il a soufflé, l'air inquiet :
-Des Estres. Ils viennent vers nous.
-Aïe. Qu'est-ce qu'on fait ? ai-je demandé à voix haute.
-Que se passe t-il ? s'enquit Millard, surpris et un peu inquiet, lui aussi.
-Ombre dit que des Estres viennent dans notre direction.
-Génial. On va se faire prendre. Ton ami, qui visiblement est un génie puisqu'il nous a mené droit jusqu'à eux, a t-il une autre idée de génie pour nous sortir de là ?
-Ne soit pas mesquin. Ombre fait ce qu'il peut.
-Il n'a pas tort, souffla Ombre, l'air penaud. J'ai été égoïste, désolé. Mais il est vrai que j'ai un plan : ton ami et toi n'avez qu'à vous séparer, et vous retrouver sur la Grande Place de la ville. Les Estres ne sont que quatre, ce qui fait que deux te poursuivront, et les deux autres se chargeront de Millard. Vous pourrez les semer dans les ruelles de la ville. C'est la seule solution, et j'avoue qu'elle n'est pas mauvaise.
-Ombre suggère de nous séparer et de nous retrouver à la Grande Place, ai-je résumé à l'attention de Millard. D'après lui, il y a quatre Estres, ce qui en fait deux pour toi et deux pour moi. Si on fait de nombreux détours, on aura largement le temps de les semer. Et au pire, on les affrontera. Mon don peut être très puissant quand je le contrôle pleinement.
-On n'a pas trop le choix, rétorqua Millard. Ils arrivent dans combien de temps ?
-Je n'en sais trop rien. Ils ne vont pas tarder, en tout cas.
Au même moment, quatre hommes surgirent de la rue d'où étaient censé arriver les Estres. Comme ils portaient des lunettes de soleil, j'ai aussitôt sut que c'était eux. Et eux nous ont visiblement reconnu, car ils ont hurlé de rage et se sont rué sur nous. Alors, Ombre a crié "Maintenant !" et j'ai filé dans une direction tandis que Millard, qui avait compris le plan, partait dans l'autre. Comme la Sombrune l'avait prévu, les Estres se sont séparés en deux groupes de deux, pour pouvoir nous pourchasser tous les deux. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que grâce à Ombre j'étais difficile à attraper : il m'indiquait par quels chemins passer pour les surprendre, quelles ruelles emprunter pour les précéder de loin, où me cacher pour les perdre momentanément... J'ai vraiment crut, au début, que ça irait comme sur des roulettes. Et puis, les Estres ont du comprendre que quelque chose clochait, et ils se sont méfié. Les petits tours d'Ombre n'ont plus fonctionné, et ils se sont mis à gagner du terrain sur moi. Ils finiraient bien par m'avoir ! Ils ont retiré leurs lunettes de soleil pour voir plus clair, et j'ai tourné vite fait dans une rue très sombre en espérant les semer, en vain. Tout se passait exactement comme dans mon rêve : mes cheveux étaient rabattus par le vent sur mon visage, mais je ne pouvais pas les chasser de peur de trébucher. A un moment, n'y tenant plus, je me suis retournée pour voir où en était les Estres ; ils étaient juste derrière moi, à quelques mètres à peine. C'est là que j'ai trébuché sur un pavé et que je me suis étalée par terre, en me tordant la cheville.
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L'Arpent du Diable, tome 2 de Le monde des particuliers
FanfictionBronwyn, Olive et Claire viennent d'être enlevées par les Estres, et Emma et les autres enfants particuliers pensent que le traître qui les a dénoncé n'est autre que Millard. Mais Annabeth n'y croit pas, et décide de mener l'enquête, afin de trouver...