- X.

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A l'aube d'un samedi brumeux, Jimin a appelé TaeHyung dans sa chambre. Il était assis devant son bureau, la tête entre ses mains tremblantes et le regard posé sur les vagues qui dansaient à travers la vitre.

TaeHyung s'est posé sur une chaise, l'a regardé pendant de longues secondes, l'a entendu expirer, l'a vu se relever, se tourner vers lui d'un mouvement las, a regardé ses yeux où ne luisait plus qu'une grande fatigue.

« - Jimin. »

TaeHyung a murmuré doucement, pour ne pas le brusquer. Il lui semblait qu'un monstre s'apprêtait à sortir de son ami pour les dévorer, lui et la terre toute entière. Jimin a ouvert la bouche et s'est frotté les yeux avant de dire :

« - La police n'est pas venue ?

- Visiblement, ce qui se passe dans le village reste dans le village. C'est ce que les habitants disaient, en tout cas. »

Son ami a hoché la tête. Puis, il est resté immobile encore un peu, a gratté un fil qui dépassait et a demandé sans redresser la tête :

« - Tu as dit que l'incendie était criminel. Est-ce que tu sais qui a brûlé le cagibi ? »

TaeHyung a croisé ses mains, a jeté un regard d'excuse sans que Jimin ne le voit et a répondu :

«  - Il faisait trop sombre pour que je distingue quoi que ce soit. Le coupable portait des vêtements trop larges, mais je te l'ai déjà dit, tout ça. Qu'est-ce que tu veux entendre ?

- Quelqu'un veut saboter le tournage. »

TaeHyung a secoué la tête. Il s'est levé, s'est avancé d'un pas et a reculé de deux, s'est adossé au mur en reprenant son souffle puis a haussé les épaules.

« - Tu devrais te reposer, Jimin. Tu passes ton temps à travailler, tu es épuisé et tu ne sais plus ce que tu dis.

- Ecoute-moi. Je sais de quoi je parle. Cet incendie a un but très clair : nous montrer que nous ne sommes pas les bienvenus. Alors je ne sais pas qui en est l'auteur et je m'en fous, parce que je vais tourner mon film.

- Si quelqu'un est capable de brûler un bâtiment, il sera capable de faire flamber l'immeuble. Tu es prêt à assumer un désastre ?»

A ce moment, et TaeHyung s'en souvient encore, Jimin l'a simplement regardé. Il n'a pas eu besoin de parler, parce que ses yeux exprimaient toute la détermination qui hurlait dans sa tête, et il sut alors que son ami était prêt à tout pour que son art soit reconnu.

Maintenant, dans l'effervescence des préparatifs pour une scène, il ne peut s'empêcher de scruter chaque silhouette pour tenter de reconnaitre un détail. Mais sa mémoire lui fait trop défaut pour ses résultats soient concluants, et il soupire devant une assistante.

Les gens crient autour de lui, s'agitent si fort et si vite qu'il trébuche contre les graviers. Quelqu'un passe à côté de lui sans le voir, manque d'écraser sa main, alors il se relève, le souffle erratique sans avoir bougé.

Il inspire l'odeur rance des autres, celle des sueurs mélangées et des contrariétés, lance un coup d'œil au phare qui semble le regarder, expire ses démons et tente de se reconcentrer. Il donne quelques conseils à JungKook, rectifie la trajectoire d'une caméra, lui montre comment la tenir, l'encourage parfois et tente de faire de son mieux pour réprimer les sursauts d'angoisse qui se glissent aux portes de son cerveau.

Il survit jusqu'au coucher du soleil tardif, aide à ranger tout le matériel et traine encore un peu sur le bord de la mer, une fois que le groupe est reparti. Il contemple le ciel qui s'embrase, le soleil qui s'éteint dans les vagues, le calme de la digue ; soudain il se sent serein et reposé.

La fatigue des jours qui s'accumulent le laisse enfin pour quelques pas, le temps d'une infime éternité qu'il savoure comme le dernier repas du condamné.

Jusqu'à ce que la brise marine lui ramène une odeur putride de chair flétrie.

Il rouvre les yeux, ses doigts enfoncés dans les poches de sa veste, et regarde autour de lui pour déceler d'où vient cette fragrance répugnante. Il pense d'abord à des carcasses de poissons moisies qui gisent dans un coin, à l'entrée d'une ruelle, mais l'odeur est trop différente.

Alors il continue sa route, le nez curieux mais hésitant. Il reste alerte mais redoute d'en trouver l'origine.

Jusqu'à ce qu'une femme passe à sa droite et que son effluve le frappe si fort qu'il doit contenir une violente nausée. Il se tourne lentement tandis qu'elle marche, les yeux rivés sur ses bottes de pluie jaunes, le corps caché par un vieux pull élimé d'une couleur étrange et les cheveux tellement emmêlés qu'ils forment une masse compacte à la lueur des premiers rayons de lune.

Elle ne s'arrête pas, continue d'avancer tandis que ses épaules tressautent. Il émane de son corps des relents fétide de chair décomposée, d'œuf moisi et surtout, prédominante sur toutes les autres confondues, l'odeur de la mort.

TaeHyung relâche son souffle seulement lorsqu'elle a quitté sa rue et s'est éloigné suffisamment pour que seule subsiste la fragrance douce de l'iode. Il inspire plusieurs fois pour laver son nez de cette chose qu'il ne peut qualifier d'humaine.


Quelques heures plus tard, les yeux ouverts sur la nuit, il se souvient d'un détail.


La femme tenait un briquet et le faisait tourner dans sa main.

Les Mythes Fondateurs | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant