- XI.

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Le dos contre le dossier de la chaise en bois aux pieds racornis, TaeHyung observe le village dans un silence religieux. Ce matin, Jimin est passé dans sa chambre, a pris sa température, l'a considéré plusieurs instants, a vu ses yeux brillants de fièvres, a soupiré, lui a dit de rester ici afin qu'il se repose, est reparti.

Depuis, il est resté immobile, avachi, les genoux pliés contre son torse. Il sent dans sa tête le lancinement d'une migraine, le sursaut tiède de la maladie et la chaleur froide de la solitude.

La bouche sèche, le regard éteint, il attend. Il fixe d'un œil vide le phare imperturbable dans la tempête, saisit dans son chaos de pensées des bribes d'idées ; se dit que c'est incroyable qu'un si beau bâtiment soit le théâtre de tant de drames.

Il ne mange pas, avale un peu d'eau en même temps que ses cachets, déglutit, essaye de fuir l'envie de sortir. Il sait qu'il doit rester à l'intérieur ; il est encore assez conscient pour ça. Mais dans son esprit tourne l'image d'une femme aux cheveux épars et à la tête baissée, qui marche, marche, marche, et brûle.

Il sursaute. Quelqu'un a toqué doucement contre la porte et il se redresse vers le battant, les yeux écarquillés et les doigts crispés autour des accoudoirs. Il regarde JungKook entrer, s'avancer dans la pièce jusqu'à lui, jeter un coup d'œil vers la vitre et lui demander :

« - Jimin m'a envoyé pour savoir si ça allait. Comment tu te sens ?
- Ça va. J'ai un peu froid, mais ça va. »

JungKook s'éloigne de lui pour ramasser un vieux pull étendu sur le parquet. Il le déplie, le défroisse de sa large paume et le tend à TaeHyung. Lorsqu'il l'enfile, il sent la douceur du tissu et le regard de l'autre homme sur son ventre découvert.

Il ferme les yeux, plusieurs minutes. S'endort. Ne sent pas la main calleuse de JungKook sur son front, ni ses bras si forts qui le portent jusque dans son lit, ni le sourire tendre quand il le borde.

Quand il émerge, en sueur et la langue collée au palais, il est seul et le soleil se couche sur la mer. Ses yeux sont flous quand il se lève pour se poster devant la vitre et contempler les rayons qui se noient dans l'eau rougeâtre.

Comme le sang.

Sang séché ; sang partout ; sang par terre.

Il était la parole de Dieu.

Il sursaute, inspire profondément pour reprendre son calme et refréner ce sentiment d'oppression qui ruisselle de ses tempes et transpire par tous les pores de sa peau malade. Ses mains tremblent tellement qu'il lâche son manteau trois fois avant d'arriver à l'enfiler. Il ne peut pas rester à l'intérieur, pas avec cette voix qui lui murmure des mots dans l'obscurité nocturne.

Quand il parvient sur le perron de l'hôtel, le vent froid le saisit à la gorge et envahit son esprit englué par la peur. Ses pieds hésitent, descendent lentement les quatre marches, s'aventurent un peu plus loin.

Il s'arrête pour admirer le ballet éternel des vagues, et lui parviennent par fragments des odeurs marines.

Sa tête, embrumée par la fièvre, lui impose le phare comme une évidence.

Alors, il s'y dirige. Ses chaussures ne font presque pas de bruit. Ses mains ne tremblent presque plus. Il ne réfléchit pas. Un nuage s'écarte et un rayon de pleine lune inonde le phare d'une lumière argentée.

Il voit les vitres qui brillent.

Sortie de la mer, une voix répète en murmurant :

« - Il était la parole de Dieu. »

Le bâtiment oscille au rythme de ses pas.

La voix s'est tue.

Seul le silence subsiste dans le village.

Il avance encore, croit apercevoir une ombre adossée dans une ruelle, sourit, se dit qu'il est fou. Il effleure le bois vieilli et gondolé de la porte du phare. Pose sa main sur la poignée. Le métal est froid contre sa paume.

Il sent la rouille sur sa peau et l'appréhension dans son cœur.

Au moment où il tire sur la poignée, la porte craque, s'ébranle dans les ténèbres et il a le temps de distinguer deux yeux luisants à l'intérieur du phare avant que des mains attrapent ses épaules et le forcent à s'en détacher.

Les Mythes Fondateurs | TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant