quatorzième lettre

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Samedi (mais suite de vendredi en bonus !!)

Cher futur Léo,

Après avoir passé une bonne nuit de sommeil, je me dois de continuer ma lettre d'hier. Alors, Théo a décidé qu'on allait tous prendre un verre. Pour ça, Théo a voulu prendre le métro (?) et le tram (??) alors que j'étais en fauteuil roulant (???). Sam, la fille punk de la première et dernière fête où j'étais allé, a réussi à le raisonner pour lui faire comprendre que, le fauteuil roulant en transport, c'était moyen.

Heureusement que Sam était là. Elle m'a même fait remarquer que j'aurais dû le lui rappeler moi-même. Peut-être que j'aurais dû, en effet, mais je n'avais qu'une envie : retrouver Théo, dans sa voiture, et l'embrasser de moi-même. Pas quand il conduisait, cela allait de soi.

Sauf qu'avant de rentrer, il fallait sociabiliser.

Le bar était très chaleureux ; il y avait d'ailleurs d'autres jeunes qui fêtaient je ne sais quoi. De ce fait, ça donnait une certaine ambiance à la pièce. Comme s'il y avait déjà une dynamique et qu'il fallait la respecter. Je ne me sentais pas vraiment à l'aise.

« Léo, tu veux boire quelque chose ? » m'a demandé Théo avec un grand sourire.

Je lui ai répondu qu'un thé glacé suffirait amplement. Pas d'alcool avec les médicaments. C'était la règle d'or.

Ils ont tous pris des boissons alcoolisées dont je ne me souviens pas des noms, puis nous nous sommes tous installés à une table où je pouvais caser mon fauteuil. Théo était à ma droite, Matthias en face de moi. Les membres du groupe étaient assis du côté de Théo : il y avait Valentin, le batteur-bi-mais-aro, Jules, le multi-instrumentiste aromantique et Charles, bassiste gay. Je précise uniquement leur sexualité en raison du grand questionnement concernant ma propre sexualité et non car je les juge, futur Léo.

C'est vrai, quoi : est-ce qu'embrasser Théo fait de moi une personne homosexuelle ? Pas que j'ai quelque chose contre cette sexualité mais... comment j'étais censé en parler à ma mère ? Même si je me doute qu'elle s'en doute, ce n'est pas... évident. Même si embrasser Théo fait juste de moi une personne qui aime, je ne peux pas négliger le fait manifeste que l'homosexualité reste toujours compliquée pour la personne qui l'expérimente mais aussi pour le faire accepter. J'en ai eu l'exemple avec Dimitri. Et, pour le premier cas, avec moi-même.

« Léo ? À quoi penses-tu ? » a murmuré Théo près de mon oreille.

J'avais conscience que tout le monde était occupé avec sa propre conversation, mais j'avais peur de le dire à haute voix. Je suis homosexuel, me suis-je dit plusieurs fois dans ma tête. Mais ça sonnait bizarre.

« À toi. » ai-je laissé échapper dans un murmure presque inaudible.

Il a souri. Et là, j'ai voulu l'embrasser. Mais il y avait plein de monde, et Matthias, et je n'arrivais pas à savoir si aimer Théo faisait de moi quelqu'un de différent, alors j'ai laissé tomber l'idée. Après coup, je me dis que ça ne fait pas de moi quelqu'un de différent. Je diffère juste de la norme d'une société qui prône l'hétéro-normativité. Qu'est-ce qu'il y a de mal à se démarquer ?

Ce n'est pas mal de se démarquer. C'est juste pas conseillé pour moi, puisque, jusqu'à présent, me démarquer ne m'a jamais rien valu de bon.

« Je peux passer chez toi ce soir ? » a-t-il murmuré à mon oreille.

Panique à bord. Comment ça, passer chez moi ? Et le soir ? Est-ce que ça voulait dire qu'il voulait... plus ?

« Mon père ne voudra jamais que tu viennes, et comme j'ai assez envie de rester avec toi... a-t-il ajouté.

la pelouse de la gareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant