neuvième lettre

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Dimanche (soir)

Cher futur Léo,

J'ai fait tellement de cauchemars cette nuit, c'était horrible. J'ai réveillé Théo six fois, la septième c'est lui qui m'a réveillé sans être parvenu à s'endormir. Il avait négocié pour dormir à côté du canapé, entre ce dernier et la télévision, alors Maman lui a donné un matelas et il s'est débrouillé.

Je me suis donc éveillé en pleine nuit, complètement désorienté. Je n'arrêtais pas de penser à elle ; elle revenait dans chacun de mes mauvais rêves. Ce n'était pas faute d'avoir essayé de l'en empêcher, mais rien que je ne puisse faire ne parvenait à l'éloigner de moi. Malgré mes cachets, je n'étais pas suffisamment apaisé pour ne pas être angoissé...

Cachets que j'ai oublié de prendre hier.

Et dont il ne faut surtout pas rater une dose.

Alors quand je me suis réveillé pour de bon, j'ai été les prendre en vitesse (du moins en vitesse fauteuil roulant-esque) en espérant que Théo ne comprenne pas de quoi il s'agissait. Mais, j'aurais dû m'en douter, c'était peine perdue. Quand quelqu'un qui a mal dormi va immédiatement prendre des médicaments en ouvrant les yeux, on peut se douter de ce dont il s'agit.

« Léo ? » m'a demandé Théo en arrivant dans la cuisine.

Je redoutais le pire.

« Qu'y a-t-il ?

— Pourquoi prends-tu des pilules ? Car tu dors mal ?

— On peut dire ça... »

J'étais assez gêné. Comment dire que l'on va si mal, que l'on est si anxieux, qu'on est obligé de prendre de satanés cachets pour pouvoir fermer l'oeil sans rêver que celle qui dormait dans le lit pour enfant de l'étage ne se fait pas étrangler et rouer de coups et bien pire par...

Wow. C'est la première fois que j'écris un truc pareil. Et ça fait mal.

Je n'ai pas envie de continuer cette lettre. Mais je suppose que je devrais, il faut toujours finir ce qu'on a commencé, pas vrai ? Et j'ai commencé car il se passe des choses dans ma journée, contrairement à la monotonie effrayante de mon quotidien d'avant Théo.

Car depuis que Théo est dans ma vie, il s'en passe des choses. J'ai l'impression de ne jamais avoir vécu avant, de n'avoir jamais fait quoi que ce soit d'autre qu'aller à la pelouse de la gare. Mais, quelque part, aller à cette pelouse m'a permis de rencontrer Théo donc, finalement, ce n'est pas si mal ?

Je ne sais pas. Tout est confus.

Bref.

Théo a insisté. Ce garçon est incroyable.

« Comment ça « on peut dire ça » ? Soit c'est le cas, soit ça l'est pas.

— Disons que c'est une des raisons, mais pas la principale. »

Il a semblé réfléchir. Comme s'il ne savait pas s'il pouvait me demander quelle était, justement, cette raison principale. Je ne le savais pas moi-même. Pouvait-il me poser la question ? Avait-il le droit ? Lui laissais-je ce droit ?

Je n'en avais aucune idée. Remarque, futur Léo, je ne le sais toujours pas au moment où j'écris cette lettre. Même s'il pouvait m'interroger, comment lui répondre ? Je n'en suis pas capable. Impossible. Je n'arrive même pas à l'écrire, ce n'est pas pour le dire à haute voix.

Théo a semblé comprendre ce que je pensais si fort, alors il m'a souri et s'est adossé contre le réfrigérateur pendant que je prenais deux bols et un paquet de céréales de mon bras non plâtré. Je n'avais pas spécialement faim or il fallait que je mange quand je prenais des médicaments. C'était plus que nécessaire à mon bon fonctionnement.

la pelouse de la gareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant