Lundi (soir)
Cher futur Léo,
Théo est passé. Ça s'est bien passé. Enfin, je dirais que ça s'est bien passé s'il n'avait pas eu un événement particulier.
Bref, j'étais dans une colère noire face à lui, mais surtout contre moi-même quand il sonné. J'avais envie de me terrer dans mon lit et de ne jamais en sortir, sans doute par peur de commettre l'irréparable.
Je suis allé devant la porte, j'ai regardé par le judas en me levant de mon fauteuil roulant assez difficilement. Il portait un de ses traditionnels chapeaux de paille et ses lunettes de soleil. Un manteau en cuir, aussi, ce qui complétait son look de guitariste leader d'un groupe, je suppose. Quoi qu'il en soit, il a dû appuyer sur la sonnette une nouvelle fois car je ne parvenais pas à le laisser entrer. J'ai respiré un grand coup histoire de me calmer, puis j'ai fait en sorte d'afficher un sourire.
J'ai tourné les clefs dans la serrure et j'ai reculé. Théo avait dû entendre le bruit caractéristique d'une porte déverrouillée car il est entré. Il m'a souri mais mon visage joyeux devait paraître peu convaincant car il a dit :
« Tu es certain d'aller bien ?
— Plus certain que toi. »
Je me répétais en boucle que je n'avais été là « qu'au bon moment » et ça me suffisait pour le haïr. Moi qui avait placé tous mes espoirs de guérison en lui, je venais de subir une totale désillusion et je n'étais pas prêt à le laisser s'en tirer comme ça.
« Léopold. »
J'ai tiqué. Pas car son ton était autoritaire, mais à cause du prénom qu'il avait utilisé. J'avais enterré Léopold en même temps que Lucie, ils n'étaient plus là.
« Qui t'a autorisé à m'appeler comme ça ? ai-je dit d'un ton hargneux.
— Pardon. Je voulais dire Léo. »
Il a semblé se rendre compte qu'il avait dit une sottise. En roulant, je me suis dirigé vers le salon. J'avais envie de me frapper rien qu'à l'entente de ce prénom. Je n'étais plus Léopold. Léopold allait bien, Léopold avait une famille aimante. Ce n'était pas le cas de Léo. Ce n'était pas mon cas.
Théo m'a suivi dans le salon. Jugeant qu'il était préférable de les prendre en la présence de quelqu'un d'autre, j'ai été cherché mes médicaments dans la commode où Maman rangeait tous les produits liés à la santé. J'ai avalé un cachet en cas de crise, puis je suis resté immobile. Théo était debout à quelques mètres de moi.
« Comment es-tu au courant ?
— Ta mère m'a appelé pour le lycée. Sur les papiers, tu t'appelles...
— Ne dis rien. »
J'étais suffisamment courroucé pour qu'il n'en rajoute pas.
« Léo, je m'inquiète pour toi.
— C'est nouveau, ça. »
À partir de ce moment-là, je crois qu'il a compris que j'étais en colère contre lui. Je ne le regardais toujours pas ; je me savais incapable de garder mon calme si je le faisais. Enfin, j'avais plutôt peur de m'effondrer en larmes de rage devant lui.
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la pelouse de la gare
Ficção AdolescenteLéo va, chaque jour, à la pelouse de la gare. Il s'agit d'un espace vert à moitié caché parmi les arbres, tandis qu'un café fait face au seul côté visible depuis la rue. Léo connaît tous les habitués des lieux et même leurs habitudes. Mais un jour...