septième lettre

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Samedi, enfin dimanche

Cher futur Léo,

Chose promise, chose due : Théo a voulu m'emmener à Paris. Enfin, il a dit à ma mère de me forcer à y aller, nuance. Je le précise car je n'aime pas trop aller sur Paris, si jamais je le croise. Mais Maman m'a dit qu'il n'habitait plus là-bas, alors j'ai pu souffler un peu. J'imagine que j'ai très peu de chance de croiser quelqu'un que je connais à Paris. Enfin, de toute façon, vu la suite des événements...

Alors j'ai été prendre le bus de midi après avoir dessiné... Et le problème dans ma phrase, c'est que j'ai dessiné Théo. Oui, tu as bien lu, futur moi.

Théo.

J'ai esquissé son grand sourire et ses boucles qui tombent sur son front et sur ses oreilles. J'ai dessiné son petit nez, ses fossettes sur ses joues, son grain de beauté dans le cou. C'était apaisant de le voir avec moi, même s'il n'était pas là. J'ai fait les ombres de son visage comme je pouvais, avec un vieux crayon à papier Ikéa qui traînait là, puis j'ai fait ses yeux. Ses beaux yeux. Il était séduisant, il ne faut pas se le cacher, et qu'il s'intéresse à moi est très flatteur. Mais je ne l'aime pas dans ce sens-là. Et il est vulnérable, je ne peux pas profiter de lui comme ça alors qu'il a besoin d'être consolé de la façon la plus platonique possible.

Je suis juste touché qu'il s'intéresse à moi. Ça n'arrive pas très souvent, à vrai dire, qu'on s'intéresse à moi.

Je dessinais, donc, quand Théo est venu me chercher en voiture. Maman l'a invité à boire un café, qu'il a accepté, et je les ai regardé boire leur boisson chaude tandis que je me contentais d'un jus de fruit. Maman a beaucoup discuté avec lui, il était très ouvert.

« Donc tu es leader d'un groupe de rock ?

— Je chante et je joue de la guitare, a-t-il rectifié.

— C'est très bien, que tu puisses t'épanouir dans un domaine artistique que tu aimes ! s'est exclamé Maman en buvant une gorgée de son café plein de sucre, tandis que celui de Théo en était dépourvu.

— Mon père n'est pas vraiment du même avis... Mais c'est génial que vous souteniez Léo dans ses activités de dessin, j'adorerais que mon père fasse ça.

— Je suis sûre qu'il ne cherche pas à te faire du mal. »

Je n'appréciais pas trop cette discussion. J'aurais aimé que Théo l'ait avec moi, pas avec Maman ; mais je ne suis pas assez à l'aise avec lui pour lui poser tout un tas de questions, pour m'immiscer dans sa vie personnelle. Qu'est-ce que je suis dans sa vie ? Le pauvre type avec qui il veut se consoler ? Je ne suis que moi. Et ce n'est pas suffisant.

J'ai proposé à Théo qu'il récupère ses affaires quand elles seraient propres et sèches mais il a dit qu'on avait le temps, puis je l'ai remercié pour le jour précédent en baissant les yeux vers mes chaussures et je l'ai écouté me dire qu'il comprenait. Je me suis demandé et je me demande encore ce qu'il peut bien comprendre. Comme s'il savait ce que c'était d'être moi. De ressentir ce que je ressens en permanence, ce que j'étouffe au fond de moi pour ne pas exploser. Même si je vais finir par imploser.

Pendant que Théo rejoignait sa voiture, ma mère m'a discrètement donné un anxiolytique au cas où je me sentirais mal à Paris (ce qui était fortement probable). J'ai rangé le morceau d'aluminium dans ma poche, j'ai pris mon sac de cours (qui ne contenait que ma carte de transport, ma carte d'identité et mon porte-monnaie). Je ne suis pas du genre à embarquer cinquante mille choses avec moi quand je sors.

la pelouse de la gareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant