Un peu d'aide

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La cloche sonne enfin. Cette heure de maths m'a vidé le cerveau. Trop de chiffres et de signes compliqués. Le crissement de la craie contre le tableau était bien plus agréable que ces foutues équations. J'aimerais bien savoir à quoi ça me servira pour plus tard, tout ça. Peut-être que ma vie sera mise en jeu à cause d'une échelle mal inclinée ou d'une équerre géante qui me sectionnera la jambe. On ne sait jamais. Quoi qu'il en soit, les maths, je déteste ça. En primaire, c'était amusant. Et même carrément facile. Au collège, je crois que j'ai décroché dès la première semaine. Maintenant que je suis en seconde, la simple vue d'une barre de fraction me donne la gerbe. Qui a eu l'horrible idée de créer une matière aussi sournoise ? Les autres élèves de ma classe semblent bien s'en sortir. Je me sens un peu bête, entouré d'eux.

Tous les profs de maths que j'ai eu m'évitaient cordialement. Ils en ont eu du fil à retordre avec moi. Ils ont tous fini par abandonner. Tant mieux, ce n'est pas moi qui allait les retenir. Seulement, cette année est différente. C'est la première fois que mon prof est une femme. Mademoiselle Harrington, la trentaine, cheveux blonds, très sympa. Elle voit du potentiel en chacun de nous, soi disant. Je me demande qu'est-ce qu'il s'est passé dans sa tête pour qu'elle ai envie de devenir gourou des mathématiques. Ça m'échappe. Mais après tout, c'est la seule qui ne me donne pas envie d'étriper des chatons en entrant dans la salle.

Je me lève lentement de ma chaise. J'ouvre mon sac et balance mes affaire à l'intérieur sans faire d'histoires avant de le mettre sur mes épaules. La plupart des autres élèves sont déjà dans le couloir, surement pressés d'aller déguster leur repas. Moi, je prends mon temps. Je sais que mademoiselle Harrington a toujours quelque chose à me dire à la fin des cours.

- Ulysse, je pourrais te parler une minute ?

Bingo. J'en étais sûr. C'est déjà la troisième fois cette semaine, mais peu importe. Je me dirige vers son bureau où elle est assise devant les copies que nous avions rendues quelques jours plus tôt.

- Oui mademoiselle, je ferais l'exercice de rattrapage. Mais ça sera tellement catastrophique que j'aurais un exercice de rattrapage pour l'exercice de rattrapage. Et ma note sera toujours aussi catastrophique.

J'avais dit cela sur la ton de l'humour. Mais mademoiselle Harrington semblait préoccupée par autre chose. Un petit sourire se dessinait sur ses lèvres maquillées de rose.

- Tu as une note supérieure à la moyenne, dit-elle, visiblement heureuse.

Je fronce les sourcils. Un autre élève n'aurait jamais été abordé à la fin des cours pour une action aussi banale, mais moi si. Je ne sais pas trop comment réagir, moi qui m'était habitué depuis longtemps aux trois et aux quatre.

- Vous êtes sûre ? Pourtant j'ai tout fais comme d'habitude...

Il faut dire que mes méthodes d'apprentissage n'en étaient pas à leur summum. Mais pourtant, avec les autres matières, ça fonctionnait allégrement bien.

- Oui Ulysse, je suis sûre. Tu as reçu un joli onze sur vingt. C'est vraiment encourageant pour la suite, tu sais. 

Contrairement à ce que j'aurais cru, je ne me suis pas empli de fierté à ce moment. Je suis juste heureux d'être passé pour une fois entre les mailles du filet. J'aurais enfin une bonne note à apporter à mes parents !

- Je vais essayer de continuer dans ce cas... dis-je.

Mademoiselle Harrington hoche la tête puis sors de son sac une pochette contenant les notes des élèves de la seconde jusqu'à la terminale. Elle prends la copie d'un élève en première et me la montre.

Un quinze sur vingt, impressionnant. Une écriture impeccable quoiqu'un peu bancale. Je regarde le nom en haut à gauche : Milo Blair. Jamais entendu parler. Pourquoi me montre-t-elle sa copie ? Je crains déjà le pire.

- Voici Milo, un de mes élèves de première. Il est très gentil et plutôt doué. Il sera parfait pour t'aider à progresser !

Je hausse alors les sourcils. M'aider, moi ? Mais je m'en sors très bien ! Enfin... très bien n'est peut-être pas le mot adéquat mais je préfère largement rester tout seul à réviser même si je passe le trois quart des mots.

- C'est très gentil mais... je me débrouille. Je vais faire des efforts, je vous le jure.

- Ulysse, cette note est vraiment très bien mais si tu veux garder le niveau tu auras besoin d'aide ! Je suis sûre que ça marchera à merveille.

- Non, mademoiselle... je crois au contraire que ça sera encore pire. Vous voyez, trop de maths, en plus en dehors du lycée, je tiendrais pas. Désolé.

Elle sembla alors très déçue. Je m'en veux un peu d'avoir refuser de la sorte, mais je sais que c'est la chose à faire.

- Bon, très bien... dit-elle. Mais si un jour tu change d'avis, reviens me voir.

- D'accord, pas de soucis.

Je lui adresse un sourire et sort enfin de cette salle suffocante. Les couloirs sont vides, tout le monde doit être déjà à la cafétéria. Je range rapidement mon sac dans mon casier et me dirige vers le self. Aujourd'hui, je suis tout seul. Carmen, ma meilleure amie, a attrapé une mauvaise grippe. "Je suis clouée au lit", qu'elle m'a dit ce matin au téléphone.

On se connaît depuis des années. Sa peau basanée et ses longs cheveux noirs bouclés nous emmènent de suite vers son pays d'origine, l'Inde. Elle n'y a jamais mis les pieds mais ses grands-parents sont nés là-bas avant d'avoir immigré au Canada. Elle est là pour moi, je suis là pour elle. Une relation simple et durable. Nos parents ont toujours trouvé ça étrange, cette amitié fille-garçon. Je crois qu'ils se font des idées, mais ils se trompent totalement. J'imagine la tête de Carmen si quelqu'un croit qu'on sort ensembles. Quelle horreur !

Je passe ma carte de cantine dans la fente et entre dans la large salle. Je prends un plateau et des couverts avant de me servir. Salade verte, pain, poulet. Le repas du prisonnier, comme elle dirait. Je m'assois à notre table habituelle, dans le fond. Mon regard se pose sur les autres élèves. Enfin, les groupes d'élèves. Ici, ceux qui se ressemblent s'assemblent. Les sportifs traînent entre eux, côtoient les filles qui mettent plus de maquillage que de vêtements. Les élèves du club de poésie se concertent, s'entraînent à voix haute dans les couloirs. On se croirait dans ces films clichés des années 2000 sur les lycées américains.

Nous, on ne se place dans aucun de ces groupes. Moi et Carmen sommes un clan à part entière, j'imagine. Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche et le sort. Quand on parle du loup. Le nom de Carmen (avec un joli smiley soleil) s'affiche sur l'écran, j'ouvre son SMS.

Alors, tu te fais pas trop chier sans moi ?

Son message me fait sourire. Bien sûr que je me fais chier sans elle.

Ulysse : Pas le moins du monde, j'ai découvert un passage secret qui mène au centre de la Terre et je viens de gagner au loto. Et toi, comment tu vas ?

Carmen : T'es mineur, espèce d'idiot. Mais si ça arrive un jour je veux bien que tu m'emmène à Paris. Moi ça va. Je jongle entre trois tonnes de couverture et sous-vêtements, tu vois le genre. Beaucoup de devoirs ?

Ulysse : Pas un seul. Je te laisse, je dois me dépêcher. Harrington m'a encore retenu. Soigne-toi bien.

Carmen : Salut Ulysse, grand voyageur des temps modernes !

Je range mon téléphone et me dépêche de manger ce que j'ai sur mon plateau avant de débarrasser. Aller, encore trois mois et les grandes vacances sont là. Courage.

Sans regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant