Mouvement incontrôlé

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Samedi matin. Je prends mon petit déjeuner en feuilletant un des magazines de ma mère. Ceux qui parlent de yoga, de remèdes de grand-mère, de bougies et de tricot. C'est plutôt amusant à lire. Je n'ai jamais vu maman faire aucune de ces activités, pourtant elle s'obstine à lire ça.

Je termine mon bol de céréales et débarrasse. Je suis seul en bas, maman est au travail, les marmottes sont en haut. Je me saisi d'un stylo et d'un post-it bleu et écrit que je sors. Je l'accroche sur le frigo et m'extirpe de la maison.

Une fois sur mon vélo, je réfléchis à où aller. Je retournerais en ville une prochaine fois, j'ai envie de faire autre chose maintenant.
Ah ! Je sais ! Je vais aller chez Carmen. Elle doit surement être chez elle. Elle est tout le temps chez elle, en fait.
Je commence à pédaler, sur le côté de la route. J'entends le bruit des chaînes et des roues contre le bitume. Il fait beau aujourd'hui, comme l'avait prédit le monsieur de la météo.

La plupart des volets sont encore fermés. On dirait que je suis seul dehors, que tout le monde a quitté son domicile après une horrible catastrophe. Ça me donne froid dans le dos. Il n'y a vraiment que moi de réveillé à cette heure ?

J'arrive dans la rue de Carmen et ralentit jusqu'à m'arrêter complètement. Ces volets sont ouverts, mais ce n'est pas vraiment un indice. Carmen dort toujours avec les volets ouverts.
Bon, ils doivent tout de même être réveillés. Je cache mon vélo derrière un buisson et m'avance dans l'allée, jusqu'à arriver devant la porte d'entrée.
J'hésite un peu avant de toquer trois fois. J'entends des pas à l'intérieur, quelqu'un qui tourne les clefs.
La porte s'ouvre, laissant découvrir le père de Carmen. Sa peau est claire et il a des cheveux en brosse. Il semble bien réveillé.

- Bonjour Ulysse, quelle surprise de te voir de si tôt, j'allais partir au travail ! Tu veux que j'aille réveiller Carmen ?

- Non monsieur Maxwell, je vais le faire. Passez une bonne journée !

Je souris et entre, tandis que lui s'en va. J'aperçois madame Maxwell dans le salon, raccommodant un pull. Elle sourit aussi et me salue.
Elle est petite et replète, avec les mêmes cheveux noirs profonds que sa fille. Pour les grandes occasions, madame Maxwell porte de jolis saris colorés.

Je monte alors les escaliers jusqu'à la chambre de Carmen. J'ouvre la porte sans bruit, elle ne le remarque pas. Elle est couchée sur le ventre, ses cheveux cachant à moitié son visage. Je pince mes lèvres pour éviter de rire.
Je l'observe un instant puis met une vidéo sur mon téléphone d'une alarme incendie.
Elle se réveille alors en sursaut, et j'éclate de rire sans pouvoir me contrôler. Elle semble décontenancée mais comprend aussitôt en me voyant, croisant ses bras sur sa poitrine avec un air accusateur.

- Excuse-moi, j'étais obligé !

Elle me donne un coup de poing gentillet dans le ventre avant de rire à son tour.

- T'es complètement cinglé Ulysse... ça fait longtemps que t'es là ? Et pourquoi t'es là d'ailleurs ..?

Elle fronça alors ses sourcils et remonta sa couverture jusqu'au cou.

- Je viens d'arriver. Je voulais passer te voir, dis-je en lui souriant.

- Tourne toi, dit-elle alors en se levant.

Je m'exécute. Je l'entends ouvrir son armoire, enfiler quelque chose, refermer.

- C'est bon. Complètement taré, répéta-t-elle en riant.

Je me retourne alors vers elle, elle s'est apprêtée d'un simple jean et d'un sweat. Je m'assois sur son lit, regardant ses posters sur les murs. Ils représentent ses goûts musicaux et cinématographiques, pourtant j'ai l'impression qu'à chaque fois que je viens, un de plus s'est rajouté. Les murs sont d'un vert criard et le sol en moquette noire.
Elle s'assoit à côté de moi.

- Quelque chose te tracasse ? dit-elle en m'observant du coin de l'œil.

Sa question me paraît déplacée. J'ai l'air tracassé ? Pourtant je ne le suis pas. Je secoue la tête et elle me regarde d'un air sérieux.

- Tu peux me le dire tu sais.

Mais... Pourquoi persiste-t-elle a croire que quelque chose cloche ?

- Il n'y a rien Carmen, pourquoi tu penses ça ?

- Je ne sais pas... je sens du changement en toi. Je ne sais pas encore où exactement, mais je le ressens, pas toi ?

J'hausse les épaules. Je ne vois vraiment pas de quoi elle parle.

- Tu veux qu'on aille manger quelque part à midi ? lui demandé-je.

Elle hocha vivement la tête, on se fixa alors le restaurant espagnol pas très loin d'ici où nous étions déjà allés. En attendant, on discuta de tout et de rien. Comme d'habitude.
Non, vraiment, je n'avais pas le sentiment que quelque chose ait changé en moi.

À un moment, on ne sait plus quoi dire, on se tait et on regarde juste quelque part, avant de rire. Quel âge avons-nous déjà ? 16 ans ? Ça se discute.

Finalement, vers 11h00, nous sortons de la maison et enfourchons nos vélos tels de belles motos de collection. Ce sont nos bécanes, et quoi qu'on puisse en penser, on se sent infiniment cool une fois dessus.
On roule un à côté de l'autre, l'un derrière l'autre lorsqu'il y a beaucoup de voitures. On accroche nos vélos pas loin du restaurant et marchons jusqu'à celui-ci. La devanture représente un toréador et un taureau. Le drapeau espagnol est affiché à peu près partout.

Nous entrons, un serveur nous mène à une table pour deux. Nous prenons place et feuilletons le menu.

- Ulysse ?

Je relève les yeux en lui faisant signe de poursuivre.

- On est quand même les seuls lycéens à aller manger autre part qu'au MacDo ou au KFC.

- C'est vrai, mais au moins nous on a du goût, dis-je en riant.

Elle pouffe à son tour lorsque le serveur revient, prenant nos commandes. J'opte pour une paella petite portion (ne JAMAIS prendre les grandes portions dans un restaurant espagnol !) et Carmen pour des "pan con tomate", des petits pains imbibés de tomate et d'ail surmontés de jambon Serrano. Une tuerie, comme elle dit.

- Plutôt mignon, le serveur, dit Carmen lorsque le principal concerné s'est éloigné.

Je souris. Carmen a tendance à trouver tout le monde beau. J'hausse les épaules en faisant une moue pour lui faire plaisir.

- Tu vois !

Quelle tête de mule. Je joue avec mes couverts, imaginant une madame couteau et un monsieur fourchette. Les plats ne tardent pas à arriver.

On mange, continuant à parler. Carmen m'explique qu'elle a en ce moment un garçon en vue. Elle me le décrit, me dit qu'il est dans le lycée, mais je ne vois pas.

- Mais si... il traine toujours avec Milo Blair...

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine et je manque de m'étouffer avec mon riz. Carmen se penche et me tapote l'épaule, je reprend mon souffle.

- Eh bah, meurs pas hein ! dit-elle.

- Non, non...

Depuis quand mon corps a-t-il décidé de prendre le contrôle ? Entre mes lèvres qui s'étirent toutes seules, et maintenant mon cœur qui danse le tango dans ma poitrine... toujours un rapport avec ce Milo en plus. Je serre la mâchoire. Il est vrai que je le trouve sympa et qu'il m'a bien aidé. Mais je ne vois pas pourquoi mon corps se met à prendre les devants de cette manière.

Carmen doit remarquer mes interrogations mais ne dis rien. Moi non plus je ne dis rien. Et on entend juste en fond cette musique qui passe à la radio en été, qui parle d'une chemise noire...

Sans regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant