Rouge sang

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Même si mon exercice est à présent terminé grâce à l'aide précieuse de Milo, nous continuons de discuter par messages. Il est bien plus facile de parler sans voir l'autre. Je me sens déjà plus à l'aise.

Donc... une autre question... Pourquoi Ulysse ? me demande-t-il.

J'écris rapidement sur mon clavier :

Mon père est prof d'histoire au collège et adore la mythologie grecque. Ma sœur s'appelle Calypso. Et puis, ma mère était d'accord, elle aimait bien ces prénoms. Et toi, pourquoi Milo ?

J'attends quelques secondes et sa réponse s'affiche en dessous de la mienne.

C'est trop cool ! Moi j'ai pas de frère ou de sœur...
Bah je sais pas trop. Je crois que mes parents aimaient juste ce prénom. Mais c'est marrant, il y a une sculpture grecque que tu dois connaître... la Venus de Milo, ça te parle ?

Bien sûr que je la connais. Je n'y avait même pas pensé. C'est plutôt incroyable. Je pince mes lèvres et lui répond aussitôt.

Ulysse : Ah ouais ! Je n'avais pas remarqué !
Et sinon, pour continuer dans les questions... quelle est ta couleur préférée ?

Milo : Oh, je ne sais pas... toutes les couleurs, ça marche ?

Ulysse : Non. Juste une, celle que tu portes le plus souvent par exemple.

Milo : Le noir ? Franchement je ne sais pas.

Ulysse : Le noir n'est même pas une couleur !

Milo : Bon, alors j'aime bien le orange. C'est plutôt joli comme couleur. Et toi alors ?

Ulysse : Bien, ça me va. J'aime bien aussi. Mais je préfère le rouge.

À ce moment, ma sœur fait irruption dans ma chambre.

- Tu pourrais frapper ! Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je.

Elle hausse les épaules et se couche dans mon lit.

- J'sais pas. J'ai envie de t'embêter. Mais je sais pas ce qui t'embête... Ça t'embête que je sois sur ton lit ?

J'arque un sourcil. Nous ne sommes pas du genre à nous disputer, elle et moi. On s'entend plutôt bien.

- Oui, ça m'embête, dis-je.

En fait, je ne sais même pas si ça m'embête vraiment. Elle est juste là, sans rien faire.

- Bon, alors je reste là, réplique-t-elle.

Elle ferme ses yeux et prends mon oreiller dans ses bras, comme une peluche. À quoi elle joue ?
Bon, finalement elle ne me dérange pas. J'allume à nouveau mon téléphone et regarde le message de Milo.

Quel genre de rouge ? Rouge sang, bordeaux, poisson rouge, vin rouge ?

Je ne peux m'empêcher de rire. Calypso relève la tête, interpellée.

- Pourquoi tu ris ?

- Pourquoi tu m'embête ? dis-je en souriant machinalement.

Elle sourit à son tour et se lève. En passant, elle me donne un petit coup dans l'épaule. Elle sort de ma chambre, refermant la porte derrière elle.
Ça aussi, c'est bizarre.

Beaucoup de choix... mais je vais partir sur le rouge sang, je lui réponds.

Je commence à bailler. Il est déjà 22h00... je n'avais pas remarqué que nous parlions depuis autant de temps. Et d'ailleurs, Milo l'a remarqué au même moment.

Joli. J'aime bien aussi.
Bon, c'est pas tout mais je vais te laisser. Bonne nuit Ulysse, ce fut un plaisir d'avoir pu t'aider ;-)

Je lui réponds bonne nuit aussi. J'éteins mon téléphone et me laisse tomber dans mon lit, soupirant de contentement.
Il ne pleut plus maintenant. Et apparemment il fera ensoleillée toute la semaine. Dommage, moi qui viens tout juste de découvrir que j'adore la pluie.

Ma lampe de chevet dégage une lumière tamisée dans toute ma chambre, j'ai du mal à distinguer mes objets.
Je souffle et me tourne sur le côté, fermant mes yeux. Et je m'endors, la lumière allumée, tout habillé, rêvant d'une statue immobile sous la pluie.

***

Le reste de la semaine a été interminable. Vraiment. Interminable. Cours inintéressants, examens de tous les côtés, montagne de devoirs... de plus, j'avais beau chercher dans les couloirs, je n'ai pas vu Milo. Pourquoi je le cherchais d'ailleurs ? Heureusement que Carmen était là. Elle a remonté le niveau de cette semaine qu'on pourrait qualifiée de sous-merde. Enfin bref.

Nous sommes vendredi soir. J'ai déjà fini mes devoirs du lundi, histoire de ne plus y penser pour le reste du week-end. C'est vraiment court, deux jours.

Je suis dans la salle de bain, brossant mes dents. Mon reflet me fait face dans le miroir. Je m'attarde un moment sur mon visage. Il a changé depuis la dernière fois que je l'ai regardé en détail. Je dois vieillir. C'est possible, à mon âge ?
J'observe mon nez. Je déteste mon nez. Je le trouve trop gros. Et mon dieu qu'est-ce que j'aimerais me débarrasser de ces fichues lunettes.

Ma première paire était rouge (on se demande bien pourquoi). Ensuite, j'en avais eu une avec des petits Spider-Man sur les branches. Après je suis passé à la mode des Ray-Ban noires, comme à peu près tout le monde portant des lunettes en 2012. Et maintenant j'ai cette paire, toute simple, avec des verres un peu ronds. Je les aime bien. Elle me font énormément chier, mais je les aime bien.

Je fais couler de l'eau chaude et allume la radio. À cette heure là, ils ne diffusent plus de pubs mais uniquement de la musique, à mon grand bonheur.

Je rajoute du savon qui donne de la mousse épaisse et odorante, quelques bulles flottent dans la pièce.

Je retire mon t-shirt. Mon reflet m'interpelle à nouveau. Mes muscles sont quasi inexistants, et pourtant j'en ai fais des efforts !
L'année dernière, en voyant une émission à la télé, j'ai eu envie de me mettre à la musculation. J'y suis allé au moins dix fois, ce qui est exceptionnellement beaucoup pour quelqu'un d'absolument pas sportif comme moi. On voyait déjà un changement, j'étais tellement fier. Mais là, tout est reparti, comme si je n'avais rien fait du tout. C'est plutôt décevant. Mais bon, je sais que j'aurais dû continuer. Finalement, quand j'y repense. Je détestais ça. Surtout que c'était pour plaire à des filles qui ne m'avaient sans doute jamais remarqué.

Complètement déshabillé, je me plonge dans la baignoire. L'eau brûlante m'enveloppe. Je pose ma tête sur le rebord derrière moi et ferme mes yeux, profitant de la musique.

Une chanson qui parle d'amour. Pareil pour la suivante, celle d'après, et celle qui suit également... ils ont quoi les artistes avec leurs peines de cœur ? On m'a brisé le cœur déjà tellement de fois.

Primaire : une petite fille très mignonne dont j'ai oublié le nom, j'étais follement amoureux, je lui ai dit, elle a rigolé et est partie. D'accord. Que signifiait ce rire exactement ?
Collège : Lisa, le genre chef de bande, du style à parler fort. Qu'est-ce que je lui trouvait ? Je ne sais plus. Pareil, j'étais amoureux. Je suis allé lui dire, courageux comme j'étais. Elle m'a dit que j'étais moche et pas populaire, que personne voudrait jamais de moi. On avait 11 ans. Les enfants ont toujours des mots qui blessent...
Lycée : bah... rien pour l'instant. Tout ça ne m'intéresse plus vraiment, j'ai abandonné.

Oh, tiens, encore une chanson sur l'amour. "Je t'aime, tu as des yeux magnifiques..." bla bla bla.
Milo, lui, a de beaux yeux. Bon sang, où était-il toute cette semaine ? Je lui enverrais un message demain, peut-être.

Je sursaute en entendant qu'on toque à la porte, j'ouvre mes yeux précipitamment et fait déborder un peu d'eau.

- T'en a encore pour longtemps ? dit la voix de ma sœur.

Elle m'a fait peur. Je lui réponds que je me dépêche. Moment d'intimité terminé.

Sans regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant