Une mauvaise grippe

21 6 1
                                    

Je regarde distraitement par la vitre de chez Cup's. Les gouttes commencent à tomber, faisant briller le bitume. Quelqu'un à l'extérieur marche avec un parapluie, le vent semble souffler car les arbres de la rue ont l'air de danser au rythme d'une musique imaginaire.

Soudain, m'étonnant de ma propre audace, je lui demande :

- Qui étais-ce ?

Il sait de qui je veux parler, son sourire s'efface. Je suis assez curieux de savoir qui était cette personne.
Il marmonne entre ces dents quelque chose comme << quelqu'un...>>.
Je n'ose pas insister et termine mon chocolat chaud. Je suis peut-être un peu trop curieux, je me rends compte de mon erreur.

Nous finissons par sortir, le froid me fait plisser les yeux. La pluie tombe sur nous par gouttelettes fines.
Nous courons presque vers le lycée, bien que j'aurais encore aimé rester sous la pluie encore un peu.

Nous arrivons un peu en avance et restons devant l'établissement, sous le mini-toit au dessus des entrées. Nous regardons la pluie tomber, en silence. J'espère que Milo ne m'en veut pas.

Il sort un bras de notre abris, laissant la pluie couler sur son gilet, sur sa main. Ses yeux sont levés vers le ciel. À quoi peut-il penser ?

Finalement, la cloche sonne. Nous entrons, Milo sourit, ce qui me rassure. Son sourire a le don de réchauffer les cœurs.

- À plus tard, me dit-il a voix basse, comme une confidence.

Je le salue également. Je mets un moment avant de me rendre compte que je devrais déjà être en cours, je me dépêche d'aller en salle d'histoire.

Heureusement, Mme. Paul n'a pas encore dit aux élèves d'entrer. Je retrouve Carmen devant la salle.

- Alors, ça va mieux ? me demande-t-elle.

Je lui réponds que oui, ce qui est vrai en un sens. Grâce au chocolat chaud ? Ou grâce à Milo.
La professeur nous fait finalement signé d'entrer. Dans ce cours, je ne suis pas à côté de Carmen. Elle nous a séparé au début d'année pour "bavardages intempestifs".
Du coup, je n'ai pas de voisin, et Carmen se coltine Lisa, que nous connaissons depuis l'école primaire.

Je sors mes affaires et une feuille de copie. C'est l'heure du contrôle, je penses que je vais réussir. J'ai bien révisé. Mme. Paul nous distribue les sujets et je commence à répondre aux questions. Trop facile.
Le contrôle est censé durer toute l'heure, mais j'ai finis un quart d'heure en avance. Je retourne ma copie et me redresse, observant les autres encore penchés sur leurs feuilles. Certains ont la tête posée sur leur main (signe de profonde réflexion), d'autres réfléchissent en regardant le plafond. Je suis plutôt fier de moi, au moins une matière où je peux me venter.

La cloche retentit. Tout le monde se lève et dépose sa feuille sur le bureau de Mme. Paul avant de sortir. Je passe à mon tout nouveau casier, pour déposer mon sac. Je fouille dans ma poche et en extirpe le petit papier où Milo avait écrit le code. Je reconnais bien son écriture, bien que je n'ai eu l'occasion de la voir qu'une seule fois.

J'entre le code et tourne, le casier s'ouvre sans effort. À l'intérieur de trouve un petit papier, plié. Je l'ouvre et rit en voyant son contenue.
Deux bonhommes en bâtons avec une flèche indiquant "Ulysse" et l'autre "Milo", une tasse de chocolat et des traits qui doivent surement représenter la pluie. Son talent en dessin n'est pas exceptionnel mais je décide de garder le dessin.
Je range mon sac et referme le casier avant de rejoindre Carmen au réfectoire.

Notre table habituelle est libre, comme toujours. Nous nous y installons avec nos plateaux. Carmen trouve que j'ai meilleure mine.
Nous rediscutons du film de l'autre jour en mangeant.

- Il faut qu'on se refasse ça, un de ces quatre, dit-elle.

- Aucun problème !

Soudain, la fatigue me reprend. Je dois demander plusieurs fois à Carmen de répéter ce qu'elle me dit, par manque d'attention. Je sens des courbatures dans mon dos, à la nuque, un peu partout.

- Mon dieu Ulysse, tu es brûlant ! dit Carmen en remettant sa main sur mon front.

Je marmonne que ça va, même si ce n'est pas exactement le cas. Je ne me sens pas très bien.
Carmen m'emmène à l'infirmerie.

- Il serait préférable qu'il rentre chez lui, c'est juste une petite grippe, dit l'infirmière.

- Y'a personne chez moi... mes parents sont au travail, dis-je.

Mais l'infirmière appelle ma mère, avec son numéro du boulot. Je ne voulais pas la déranger.
Elle raccroche après une minute top chrono de discussion téléphonique et me regarde.

- Ta maman arrive bientôt, reste là.

J'hoche la tête et l'infirmière va à nouveau vaquer à ses occupations. Je regarde Carmen.

- Tu m'as refilé ta grippe, traîtresse, dis-je en souriant.

- Oui, je suis si diabolique... je reviens dans deux minutes, je vais prendre ton sac.

- Attends !

- Quoi ?

Je lui donne le petit papier avec le code et explique que mon nouveau casier est le numéro 123. Elle ne pose pas plus de questions et s'y dirige.

Me voilà seul, assis sur le lit. Tout est soit bleu, soit blanc. Au mur est affiché un tableau avec des lettres de plus en plus petites. J'enlève mes lunettes et tente le test.
Les lettres sont floues, mais j'arrive à peu près à distinguer la première rangée. Je finis par les remettre, voyant que je suis incapable d'aller plus loin.
Les courbatures me reprennent, je grimace. J'aimerais être dans mon lit, avec un stock inépuisable de M&Ms.

Carmen revient avec mon sac, et un papier dans la main.

- Tiens, y'avait ça dans ton casier...

Elle me le rend et voilà un nouveau bonhomme bâton. Cette fois, il est seul. Il semble triste. Une bulle est dirigée vers lui, avec l'inscription <<qu'est-ce qui ne vas pas ? :( >>.
Je souris un peu, puis l'infirmière m'annonce que ma mère m'attends devant le lycée.

- À un de ces jours tête de pioche ! me dit Carmen avant de retourner en cours.

Je mets mon sac sur mon dos et sort, sous la pluie. La voiture de ma mère tourne, ses essuies-glaces grincent. J'entre dans la voiture.

- Ça va mon chéri ?

- J'imagine que non, puisque je rentre à la maison... je ne voulais pas te déranger.

- Ce n'est pas grave.

Nous roulons jusqu'à la maison et plusieurs fois je manque de m'endormir dans la voiture. Nous arrivons finalement devant la maison. Elle ne sort pas.

- Je suis désolée mon chéri mais je ne peux pas rester avec toi. Va te reposer. Les antibiotiques sont dans le deuxième tiroir de la cuisine. S'il y a quoique ce soit, appelle moi, d'accord ?

J'acquiesce et entre vite dans la maison. Même si j'aime la pluie, il fait un peu froid dehors, et je risque d'être encore plus malade.

Je prends tout de suite un médicament que j'avale avec un verre d'eau. Quel goût horrible.
Je prends un paquet de gâteaux dans le placard et me laisse tomber dans le canapé. J'allume la télé et zappe sur des chaînes, m'empiffrant. Il n'y a rien d'intéressant à cette heure. Même pas un malheureux film.
Je vais dans notre bibliothèque et choisis finalement de regarder Billy Elliott. Ce petit garçon qui voulait danser. C'est une belle histoire.

Je frisonne légèrement et m'enroule dans une couverture. Je regarde le film, ma tête posée sur le coussin. J'éternue plusieurs fois, tousse un peu. La grippe c'est vraiment une bonne excuse pour rester à la maison.

Je veux piocher encore un gâteau dans le paquet mais me rend compte que j'ai déjà tout mangé. Ah... mince. Je n'ai pas l'envie de me lever pour en prendre d'autres, alors je reste bien emmitouflé. Mais la fatigue revient. Quelle envie irrésistible de passer du côté du monde de l'onirique. Je laisse mes yeux se fermer d'eux-mêmes. Je suis bercé par la musique de Billy Elliott, et me voilà endormi.

Sans regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant