Adrénaline

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Lorsque j'ouvre les yeux, il fait nuit. Mais la lumière est allumée. Je me retourne en me sortant de ma léthargie. Je grogne à cause de mes courbatures et me redresse.

- Ah, tu es enfin réveillé ! dit mon père.

Je soupire et me laisse retomber. S'il est là, c'est qu'il est 17h00 passé. J'ai dormi aussi longtemps.
Mon père pose un verre d'eau et un cachet sur la table basse à côté de moi. Je me redresse en grimaçant et avale le médicament. Je me lève tout doucement, comme si mes os étaient retenus par de la colle qui les maintient entre eux.

Ils sont tous dans la cuisine, en train de manger. Donc, j'ai vraiment dormi très longtemps.

- Tu veux que je te serves ? demande ma mère.

Je secoue la tête mais vient m'asseoir avec eux. Papa me demande si ça va, je réponds que les siestes sont fatales lorsqu'on se réveille, ce qui est plutôt vrai. Je les observe manger, parlant peu. Demain, tout ira mieux. Je l'espère.

Je les quitte assez rapidement pour monter dans ma chambre, où je suis bien mieux. Je pose ma tête sur mon oreiller, l'esprit embrumé. Mon téléphone est dans ma poche, je crois le sentir vibrer. Je ne sais pas trop.
Je le sors et voit un appel manqué de Carmen. Je n'ai pas vraiment envie de la rappeler.

Une notification Facebook, un message de Milo, cette fois. Je l'ouvre et le regarde.

Qu'est-ce qu'il t'arrive ? :(

Je souris un peu et lui répond de ne pas s'en faire, que c'est juste de la fièvre et quelques courbatures.
Quelques gouttes résonnent contre la vitre. Je tourne lentement la tête, les observant. J'aimerais les sentir ruisseler sur ma peau.

Poussé par l'adrénaline, je me lève. J'ouvre ma fenêtre. Un étage me sépare du sol. Sous ma fenêtre, la cabane à outils de jardin.
Je ne sais pas ce qu'il me prend, on dirait que mon corps obéit à quelque chose d'autre que mon cerveau.

Je passe une jambe au dessus, puis l'autre. Me voilà assis sur le rebord de ma fenêtre. La pluie fait apparaître des tâches sur mon pantalon. Elle est froide et douce, elle sent bon. J'inspire l'air, satisfait.
Je me retourne et m'accroche au rebord, me laissant glisser. Je m'accroche bien fort, mes phalanges blanchissent.

Sur la pointe des pieds, je touche le toit de la cabane. Je lâche mon rebord, et reste debout un moment. Je lève la tête vers le ciel. Bientôt, mon visage est trempé. L'eau coule sur ma peau, jusqu'à mon cou, s'infiltre dans mon t-shirt. Ça fait du bien.

Je descends de mon domaine et atterrit dans l'herbe humide. Elle me fait frissonner mais me procure un sentiment étrange. Mes pieds sont nus, en contact direct avec l'eau, l'herbe, la terre. Je remue les doigts de pied et m'avance jusqu'au centre du jardin.

Je m'assois alors, puis me couche sur le dos. Les yeux rivés vers le ciel, j'observe les lueurs sombres et les gouttes qui se reflètent dans les lampadaires. Je suis trempé mais qu'importe. J'ai froid, mais j'ai envie de rester là. Mon corps veut rester là. Et je crois que mon esprit y tien également.
Mais mon bon sens à décidé de prendre sa retraite, visiblement.

Je finis par fermer mes yeux, l'adrénaline s'étant atténuée. J'entends une voix étouffée, sans doute dans la maison, appeler mon nom. Je n'ai pas envie de répondre, ou peut-être que je n'en ai pas la force. On m'appelle encore. Soudain, ma mère se penche à ma fenêtre et me voit étendu dehors. Elle se précipite en bas et sort par la baie vitrée.

- Ulysse, mon dieu ! Qu'est-ce que tu fais !? Chéri, viens m'aider !

Mon père débarque, alarmé par les cris de ma mère. Mais tout ça me semble de plus en plus loin, flou, étrange...
J'ai l'impression qu'on me soulève et qu'on me ramène à l'intérieur. Les gouttes cessent de tomber sur moi. La chaleur de la maison me fait prendre conscience de la température extérieure. On me pose sur le canapé.

Mes parents semblent inquiets, ils ne cessent de me demander ce qui m'a traversé l'esprit. Si seulement je savais...
Je ne réponds pas. Je sens les grandes mains de mon père retirer mon t-shirt et mon pantalon trempé, tandis que ma mère me sèche les cheveux avec une serviette. On me couvre avec le drap le plus chaud et rembourré que j'ai jamais vu. J'ouvre alors les yeux, ils sont à mon chevet. Ma mère mordille ses lèvres, je crois. Je ne vois pas très bien. Où sont mes lunettes d'ailleurs ?

- Mon dieu, Ulysse...

Elle s'accroupit en face de moi et m'observe comme si elle venait de découvrir à quoi je ressemblais. Elle n'a pas l'air en colère. Elle ne me pose pas plus de questions. Je la remercie intérieurement et elle s'éloigne.

La fatigue me reprend. Vivement que cette grippe s'efface, parce que dormir, éternuer, tousser, avoir chaud et froid en même temps et faire des trucs bizarres encore longtemps, sans façon.
Me voilà plongé dans le monde de l'onirique.

Autour de moi, tout est bleu. Le ciel. Sous mes pieds, le sol est blanc, vaporeux. Un nuage ?
Il n'y a rien aux alentours, du vide à perte de vue. Tout est calme, pas un bruit ne vient perturber la scène. Je marche, doucement d'abord, avant d'accélérer le pas. J'aperçois quelque chose au loin. Ou plutôt quelqu'un. Je me mets à courir. Mais au lieu que la personne se rapproche, elle semble encore plus loin au fur et à mesure que j'avance. Je finis par tomber à genoux, épuisé. La personne à disparu. Et les nuages deviennent plus sombres.

                              ***

Le réveil a été assez compliqué. Je n'avais jamais eu si mal à la tête de ma vie. Toute cette mascarade de la nuit dernière revint à mon esprit.

Prenant mon petit déjeuner à contre-coeur, ma mère veille sur moi, s'attendant presque à ce que je cours hors de la maison, hurlant comme un fou. Je lui répète plusieurs fois que ça va, mais elle reste.
Quelques céréales, un jus d'orange. Je n'ai pas envie de vomir, c'est déjà ça. Pas d'école pour moi aujourd'hui.

Ma mère finit par devoir partir au travail. Elle met du temps avant de pouvoir partir pour de vrai, me rappelant de la contacter si jamais il se passe quelque chose, ou de prendre ma température au moins trois fois.
Lorsqu'enfin je suis seul, je termine mon petit-déjeuner et me lève. La pièce tourne un peu, je me dirige vite vers le canapé.

Ah, le canapé. Il m'a bien aidé depuis le début de ma cure. Très confortable.
Je m'installe bien, cherchant un film à regarder. Je me sens déjà mieux qu'hier. Peut-être que demain je pourrais faire autre chose que de rester sur mon fidèle canapé.

Je me lance dans un film au hasard, n'ayant pas envie de trop réfléchir. Les images défilent devant mes yeux. J'écoute les paroles, les bruits, les musiques. J'inspecte et interprète les expressions du personnage principal. Joie, tristesse, colère.

Je ne comprends pas vraiment l'histoire mais je reste attentif à chaque détail lorsqu'un bruit attire mon attention. Quelqu'un toque à une porte. Mais ce n'est pas dans le film. Je me lève, mettant sur pause.

Je me traîne jusqu'à la porte d'entrée où l'on toque à nouveau.

- C'est qui ? demandé-je assez fort pour qu'on m'entende à l'extérieur.

On me répond "moi". Je m'apprête à rétorquer "moi qui ?" lorsque je me rends compte que je connais cette voix.
J'ouvre la porte, Milo est juste devant moi, une boîte métallique entre les mains.

- Tes parents sont à la maison ? demande-t-il.

Je secoue la tête, il entre sans que je ne l'y invite. Il referme la porte.

- Comment tu te sens ?

- T'es pas censé être en cours... dis-je.

- J'ai séché. Je voulais être avec toi. Mais réponds à ma question.

- Je me sens bien.

Je vais rapidement me rassoir sur le canapé. Il s'installe à côté de moi. Il me tend sa petite boîte, je comprends que ce sont des chocolats. Je souris, il rigole un peu.

- Je ne te dérange pas au moins ?

Je secoue la tête. Non Milo Blair, tu ne me dérange pas.
Nous continuons le film, mangeant des chocolats jusqu'à la crise de foie.

Sans regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant