Je le regarde, l'air incrédule. Il s'assoit en face de moi avant de me dire qu'il plaisantait.
- Ah... marmonné-je.
Mon dieu, qu'est-ce que j'ai horreur de discuter comme ça avec des personnes qui me sont inconnues. Milo, lui, ne semble absolument pas gêné. Il continue de me fixer. Son sourire est toujours skotché à son visage.
- Donc, d'après ce que j'ai compris, tu es en seconde ? Ça te plaît ici ? me demande-t-il.
Je remets mes lunettes en place d'un froncement de nez. Son regard est insistant. Le rouge me monte aux joues, je ne sais pas trop quoi répondre et je sais que ça se voit.
- Euh... Ouais. C'est sympa, marmonné-je.
Il acquiesce d'un signe de tête, apparemment du même avis. Il a du remarqué que j'étais légèrement gêné, je le vois à présent regarder ailleurs.
- Bon. C'était sympa de te rencontrer. Si tu veux que je t'aide en maths un jour, pas de problème, je suis là.
Il me sourit et se lève simplement, faisant grincer sa chaise contre le sol lisse. M'adressant un petit signe de la main, il s'éloigne à l'autre bout du CDI. Vraiment étrange. Je ne l'avais encore jamais vu auparavant. Je dois être vraiment distrait, dans les couloirs. Note à moi-même : regarder les gens. C'est important, quand on y pense.
C'est vraiment agacent, cette manière que j'ai à me renfrogner dès que quelqu'un que je ne connais pas m'adresse la parole. Après, il faut avouer qu'il m'a carrément prit au dépourvu. Ces yeux m'ont réellement perturbé. Mais ils sont vraiment magnifiques. Un océan où l'on entre et l'on se noie.
Je regarde le visage souriant d'Anne Frank sur sa couverture, figée dans le temps. J'ai encore échappé à une occasion de lire, à croire que c'est fait exprès.
Pas longtemps après, la cloche sonne de son bruit si familier. Et c'est parti pour le reste de la journée.***
Le soir, je m'installe à mon bureau pour faire mes devoirs. Je m'avance et me recule distraitement avec ma chaise à roulette, aveuglé par la lumière puissante de ma petite lampe. Je laisse ma musique allumée en fond, mais je crois que ce n'est pas vraiment très bon pour la concentration.
Je mordille mon crayon, séchant sur une question en géographie. Je sais que si j'appelle mon père, celui-ci va se lancer dans un monologue sans fin qui finalement ne m'apportera toujours pas de réponse. Et puis, je me suis juré de ne jamais aller chercher les réponses sur internet. Je sais que ça pourrait être simple, en quelques recherches, de trouver ce qu'on veut... mais quelques fois, la réponse est sous notre nez. Attendant patiemment.La géographie passée, j'enchaîne avec les maths. Est-ce que j'ai déjà dit que je détestais ça ? Il se peut que je l'ai mentionné quelques fois.
J'observe mon sujet. J'essaye de me remémorer la leçon. Au début, j'ai toujours l'impression de comprendre les leçons. Je me dis "génial, enfin un chapitre facile, ça va remonter mon niveau !" Et finalement, quand les exercices arrivent... tout ce que j'avais cru comprendre s'évapore loin, très loin...Je prends la décision (sans doute pas très appropriée) de faire une pause avant de passer aux maths. Mon téléphone passe Tainted Love, de Soft Cell. Je bats la mesure en rythme, tapant sur ma cuisse, en me baladant dans la pièce grâce à ma chaise à roulettes.
Je m'arrête devant mon armoire et décide de plier un peu. Un grand pas pour l'humanité. Sans doute la dernière fois qu'on verra ça. On aurait dû prendre une photo à accrocher sur le frigo.
L'ordre étant revenu, je roule jusqu'à mon étagère. Un cactus, une figurine et une lampe à huile y sont posés. Rien à signaler de ce côté. La lampe émet juste de jolies bulles colorées que je prendrais un malin plaisir à éclater si ce n'était pas brûlant et enfermé derrière une vitre.
Je m'arrête alors devant ma fenêtre. La pluie est en train de tomber. Des gouttes perlent sur ma fenêtre, faisant la course jusqu'en bas. Le ciel est gris, noir, blanc. Les feuilles des arbres retiennent un peu d'eau avant de la laisser s'écouler.
Des mots apparaissent comme par magie devant mes yeux. Pourquoi je suis là dans ma chambre, alors que je pourrais faire tellement de choses ? Je pourrais aller à ma première soirée, donner mon premier baiser, et baiser tout court aussi, après tout. Je pourrais me saouler, chanter à en perdre la voix, danser jusqu'à tomber d'épuisement, dormir le jour, sortir la nuit. J'pourrais observer les néons multicolores, les panneaux publicitaires, compter le nombre de voitures rouges qui passent à côté de mon vélo rouge.
Là, tout de suite, j'ai envie d'être sous la pluie. Qu'est-ce qui m'en empêche ? Je sais pas trop. Mon cerveau établi ses propres barrières. Mon esprit voyage, mais le corps refuse de suivre.
Ma main se pose sur la poignée de la fenêtre. Je l'ouvre, m'assois sur le rebord. Je deviens vite trempé. Mais je m'en fiche.
L'odeur de la pluie emplie mes narines. Elle a toujours senti ainsi ? Ou c'est maintenant que je m'en rends compte ?
Les gouttes qui tombent sur la boîte aux lettres émettent un son sourd, métallique. Celles qui atterrissent sur le sol font un gros "plouf" et créent des flaques.
L'air est légèrement frais, mais pas froid. C'est agréable ici. Je prie pour que la pluie ne s'arrête pas. Elle est si belle.
C'est grave de préférer la pluie au beau temps ? Et pourquoi je pense à tout ça, là, maintenant ?
Les questions s'entrechoquent dans ma tête comme des auto-tamponneuses affluant de tous les côtés, à pleine vitesse. Le constructeur a malheureusement oublié d'installer les freins.
Peut-être que je fais tout de travers depuis le début. J'ai un profond sentiment de mal-être, tout d'un coup. J'ai envie de crier. Mais revoilà encore cette barrière, cette maudite barrière. Si ça se trouve, elle m'empêche d'être moi-même, je ne suis qu'une copie de l'original, en outre.
Merde, Ulysse, reprend toi ! Qu'est-ce qu'il t'arrive !Je frotte mes yeux. Trop de fatigue. Sinon pourquoi j'aurais des idées aussi étranges ?
Me réinstallant à mon bureau, je regarde ce foutu exercice de maths. Je l'insulte de tous les noms que je connais, dans ma tête. J'ai presque envie de le déchirer et d'accuser le chat. Je ne suis pas sûr que ça tiendrait la route. Et je ne suis pas sûr que mademoiselle Harrington aurait encore la patience de m'aider.Aider... aider. Ouais. Je sais qui pourrait m'aider.
J'allume mon téléphone et ouvre FaceBook, écrivant un message à Milo. Comment commencer ?Salut. Enfin, re-salut.
Non. J'efface. C'est idiot comme premier message.
Salut, je suis devant mes exercices de maths et je sèche totalement. Un peu de temps devant toi ?
Oui. C'est bien ça. Envoyer.
Maintenant, plus qu'à attendre une réponse.Un... deux... dix... cinquante... cent...deux-cent... je m'impatiente un peu. Je me lève et fait des allers-retours dans ma chambre, comme si j'attendais quelque chose d'important.
Il est long, tout de même... j'aurais eu au moins trois fois le temps de faire avaler ma copie au chat. En comptant les moments où il me griffe et me mord, bien évidemment.
Mon téléphone vibre et je me rue dessus. Sa photo est affichée à côté de son message.
Salut, désolé j'étais en train de faire autre chose. Sur quoi tu bloque ?
Peut-être que je ne devrais pas sourire autant en voyant son message.
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Sans regrets
Ficțiune adolescențiUlysse, 16 ans, se cherche encore. Il semble en découvrir sur lui un peu plus chaque jour. Il tente des choses, quitte à faire des erreurs. C'est ce qu'on appelle la merveilleuse et inévitable période de l'adolescence.