Sport, violence et interrogations

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24/01/19

Cela fait maintenant trois jours que Charlie et moi nous nous faisons la gueule. Cet imbécile s'est même rapproché de Mathilde, ma copine, juste pour m'énerver. La pauvre ne sait plus où se placer, d'un côté elle apprécie cette sympathie soudaine mais de l'autre elle sent bien qu'il y a anguille sous roche par rapport à moi. En effet l'ambiance glaciale entre Charlie et moi est palpable dans notre petit groupe. Théa a tout fait pour me tirer les vers du nez mais même si je l'adore je préfère rester silencieuse. Cette histoire n'a pas à être ébruitée. En clair je suis très contente de ne pas avoir eu le temps de trop m'attacher à ce type. Le genre de gars dont si tu n'adhères pas à ses idées, il préfère te laisser tomber. Pathétique et très décevant mais bon je n'ai pas besoin d'épiloguer là dessus puisque je me fiche de lui comme d'un pain pourri ou de ma troisième chaussette. En fait j'essaie surtout de m'en persuader je crois. Charlie a laissé plus de marques en moi que je veuille en réalité l'admettre et tout ça en l'espace d'une semaine. Ça me rend malade.

Aujourd'hui en plus on fait une séance de sport particulièrement difficile. En plus de l'endurance habituelle cette fois ci c'est lancer de javelot. Je n'ai aucune force dans les bras, je m'énerve toute seule pendant dix minutes pour lancer à la fin mon javelot a à peine 30 centimètres de moi. Qu'est ce que ça m'énerve de ne pas réussir ce fichu truc !!! En plus, c'est l'instructeur qui m'a punie (au passage il s'appelle Casimir, avec un prénom comme ça, pas étonnant qu'il soit si stupide) qui nous surveille et comme on se déteste il ne me donne aucun conseil. Comble du malheur, Charlie est à deux mètres de moi et lui, il tire à plus de dix mètres. Grrrr je les déteste tous.

À la fin de cette magnifique séance on ne peut plus pourrie, on se place tous en ligne. Et là survient un événement très étrange. Une instructrice débarque en tenant un jeune nommé Nicolas par les oreilles et en lui gueulant dessus. Je crois comprendre que celui ci était en train de fumer un joint derrière les bâtiments, ce qui est bien sûr interdit. D'un seul coup elle le balance au sol et commence à lui balancer de gros coups de pieds dans le ventre.
Nous sommes tous abasourdis par tant de violence. Je m'apprête à m'élancer pour arrêter le carnage lorsque j'aperçois instructeur Casimir en train de nous épier. Il ne semble même pas surpris de voir sa collègue péter les plombs, il se contente juste de... de guetter notre réaction il me semble. J'en suis à ce moment là de ma réflexion quand deux adolescents se précipitent et se mettent entre l'instructrice et Nicolas. Il s'agit de Charlie et d'un autre garçon dont je n'ai même pas retenu le nom. D'un seul coup tout se calme. Nicolas est expédié à l'infirmerie, les deux sauveurs rejoignent les rangs, l'instructeur tape dans ses mains et nous nous dirigeons vers le bâtiment contenant les vestiaires. Théa et Mathilde commentent vivement l'incident, Roan trainasse à l'arrière. J'aperçois Charlie. Je sens qu'il a envie de me parler, pour la première fois depuis trois jours, mais qu'il n'ose pas. Même si je suis rancunière j'ai tout de même envie de lui expliquer pourquoi je ne suis pas intervenue. Non parce que je suis lâche, comme il le prétend mais bien parce qu'il y avait quelque chose d'étrange dans cette histoire. Je m'approche donc de lui et lui souffle
-"on se rejoint ce soir au foyer. 18h00."
Il se contente d'hocher la tête, le visage crispé.
J'ai hâte d'être à ce soir autant que je l'appréhende.

À 18h00 pile, je franchie la porte du foyer flanquée de la meilleure camarade de chambre du monde, Mathilde. Andrea, l'autre fille qui partage notre chambre, préfère toujours se reposer plutôt que de nous accompagner. Quelle asociale ! Roan, Charlie et Théa ont déjà mis main basse sur deux petits canapés et discutent de leurs cicatrices communes. Quel sujet passionnant. Pas sure que Théa, qui est une vraie chochotte, en ai beaucoup à dire. Je me dépêche d'attraper Charlie par le bras et de sortir l'excuse comme quoi "on est en voie de réconciliation alors on a besoin de discuter seul à seul" pour pouvoir partir à l'écart.
-"Cool" dit Roan pendant que Charlie me suit sans broncher "ça commençait à devenir lourd vos histoires. En profitez pas pour faire des bébés sur le canapé hein, je vous surveille !"
Quel crétin celui ci. C'est mon pote mais il n'a pas inventé la poudre à cacao moi je vous le dis.

Je trimballe Charlie jusqu'à deux coussins, on s'assoit et là j'attaque directement.
-"Bon écoute, je ne suis pas venue te parler pour m'excuser, je t'en veux encore pour ce que tu m'as dit il y a quelques jours au stade. Mais voilà, ce qui s'est passé avec Nicolas aujourd'hui... c'était super étrange. Je ne suis pas une lâche, en tout cas pas complètement. Je m'apprêtais à intervenir mais... y avait l'instructeur qui m'a punie, celui qui s'appelle Casimir, il semblait observer la scène, juste pour voir nos réactions. Je ne sais pas comment l'expliquer plus clairement mais ça ressemblait à une mise en scène. Je suis peut être parano mais je veux juste te dire ce que j'ai vu"
-"Toujours plus observatrice qu'actrice, princesse."
Sa remarque me fait plaisir, beaucoup plus que ce surnom stupide qu'il me donnait lorsque nous n'étions pas fâchés. Mais je ne lui donnerai pas la joie de constater son effet sur moi. Je garde un visage impassible.
-"Wey en attendant c'était assez inutile. Si vous n'étiez pas intervenus, toi et l'autre gars, l'instructrice aurait pu continuer à le tabasser tranquille."
-"Sûrement, c'est bien cela le problème, l'impassivité des personnes qui nous entourent. Cette manie de ne jamais vouloir se démarquer de peur de faire de mauvaises choses."
Je m'apprête à répondre quand un instructeur en uniforme débarque dans le foyer. Il tonne :
-"Restez assis ! J'ai simplement une annonce à faire. Paul Bred, Charlie Lestr, Maé Ostras, vous êtes attendus demain à 8h30 en salle 87 pour passez un examen psychologique. Ce sera tout, bonne soirée à tous."
Sur ce, il referme la porte et nous laisse en plan. Tout le monde nous dévisage, je déglutis péniblement. Théa, Mathilde et Roan, de l'autre côté de la salle, nous fixe avec des yeux ronds.
Charlie me fixe, la mâchoire crispée.
"T'as raison Maé, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Paul est l'autre garçon, celui qui est venu me prêter main forte ce matin. C'est vraiment bizarre cette histoire."
Je secoue la tête, il a complètement raison. Je me contente de répéter, un peu effrayée
"Oui, c'est vraiment très bizarre..."

Le service militaire Où les histoires vivent. Découvrez maintenant