L'examen psychologique.

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25/01/18 Dixième jour du service militaire. 8h25

Je retrouve Charlie devant la salle cinq minutes avant le rendez vous fixé. Je stresse un peu, je ne sais absolument pas ce qui nous attend. Nous poussons doucement la porte, et nous nous trouvons face à une sorte de petite salle d'attente, composée de quelques fauteuils et de magazines. Paul est déjà arrivé, il semble complètement paniqué et peine à nous lancer un maigre sourire froid. Il s'adresse à Charlie.
-"Tu crois que l'on est ici par rapport à Nicolas ? Parce qu'hier on l'a sauvé ?"
-"Oui, je ne vois pas d'autre explication."
-"Dans ce cas là pourquoi est ce qu'elle est ici, elle ?"
Ouch. Ça ne risque pas de devenir mon meilleur ami celui ci. Du moins pas tant qu'il me mentionnera de cette façon. Je veux répliquer mais Charlie ne m'en laisse pas le temps.
-"Elle, comme tu dis, a un prénom."
-"Ouai je m'appelle Maé." j'ajoute histoire de me donner une contenance.
Paul me jette un regard méprisant et siffle
-"Merci je sais. J'ai entendu ton prénom hier soir au foyer, lorsqu'ils nous ont convoqué."
-"Parfait alors, les présentations sont faites."
Une dame pénètre soudain dans le bureau avec des papiers dans la main, nous sauvant de cette situation très désagréable.
-"Paul Bred. Veuillez me suivre."
Le garçon se lève en tremblant un peu, nous regarde pour la première fois sans méchanceté puis se décide à suivre la femme. Je reste seule avec Charlie pendant près d'une demi-heure. On parle de tout et de rien mais le cœur n'y est pas vraiment, surtout au fur et à mesure que nous ne voyons personne revenir.
Puis finalement la femme réapparaît, sans Paul, appelle Charlie et me voilà décidément complètement abandonnée. Je patiente comme je peux mais j'ai des idées de plus en plus macabres dans la tête. Et si... si ils nous tuaient ? Nous faisaient disparaître ? Enlevaient toute trace de notre passage dans la mémoire de nos proches ? Olala dans quoi je me suis embarquée moi encore ?!
Au bout d'une attente prolongée, durant cette fois ci plus trois quart d'heure qu'une demi-heure, mon cerveau a plus réfléchi à des plans tordus que depuis dix huit années.
Mon tour arrive enfin, je suis la dame le plus rapidement que je peux dans les dédales des couloirs. Finalement nous nous arrêtons devant la porte n*87. Elle l'ouvre, me pousse dedans, et fait demi tour rapidement en fermant derrière elle.
J'avance dans la pièce.

Un homme se trouve à son bureau. Il est chauve et porte des petites lunettes rondes. Il est plutôt gros. En fait, au premier abord, il me fait penser à René la taupe. Je rigole toute seule dans ma barbe puis me rappelle que je dois subir un test psychologique. Pas sûr que rigoler toute seule soit facteur d'une excellente santé mentale.
L'homme lève les yeux de ses papiers, me regarde, toussote et m'invite à m'assoir. Dès que j'ai posé mes fesses sur le siège il s'élance.
-"Maé Ostras, 18 ans, domiciliée à Routij, vivant chez sa mère avec son beau père et son demi frère, étudiante en sociologie première année, ici depuis dix jours. Résultats des tests en anglais et français excellents. Corrects en mathématiques"
Ça fait bizarre de recevoir toutes ses informations à la troisième personne. Comme si je ne les savais pas. Comme si ce n'était pas moi.
Je réponds, la gorge un peu rauque.
-"C'est exact."
-"Bien. La vie ici vous plaît ?"
-"Oui. Ce n'est pas ce que je préfère mais oui c'est convenable."
-"Pourtant au bout d'à peine une semaine vous avez eu un incident un instructeur et avez écopé d'une punition. Toujours exact ?"
Là je me mets à lui rire franchement au nez.
-"C'est pour cela que l'on m'a convoquée ? Pour savoir si je suis une personne insolente ? C'est complètement stupide."
-"Je vous déconseille de prendre tout ceci à la légère. Vous êtes donc en accord avec nos enseignements en règle général sinon ?"
Alors c'est ça qu'il veut m'entendre dire... que je trouve leurs enseignements ridicules ? Haha je ne lui ferai pas ce plaisir.
-"Bien sur. C'est important de connaître la valeur de la France et d'être prêt à donner sa vie pour elle. C'est un honneur d'ailleurs. Liberté, égalité, fraternité !"
Oups, j'en ai peut être fait un peu trop là...
-"Allons pas de mensonges avec moi. Que dirait votre père si il vous entendait ? Il se retournerait dans sa tombe."
Je le fixe avec des yeux éberlués. Personne n'a le droit de me parler de mon père, et encore moins de la sorte. Seule ma famille et Sally peuvent recueillir mes propos à ce sujet. Et c'est tout, sinon c'est tabou. Mon père est mort lorsque j'avais sept ans, devant mes yeux, et la cicatrice de sa disparition me brûle chaque jour. Alors forcément, devant ce psychologue je vois rouge. Je monte littéralement en pression, comment ose t'il ? Comment peut il ? Il ne sait rien du tout. Je sais qu'en ouvrant une bouche remplie de colère je vais lui donner ce qu'il souhaite mais tant pis, je ne peux pas me taire face à cet affront.
-"Vous savez, je peux comprendre qu'assis derrière un bureau huit heures par jour l'on puisse finir par devenir sadique. Avec l'âge en plus, les muscles deviennent de la graisse, la vision se détériore. On finit même par perdre ses cheveux ! Le seul plaisir réside dans la participation à un système de service militaire complément désuet. Un système qui préfère enfermer sa jeunesse, lui mettre de vraies armes dans les mains plutôt que de lui donner d'autres armes, comme la culture, l'éducation, l'ouverture d'esprit afin de lui donner une chance de s'en sortir vivante et épanouie plutôt que de tirer à tout va. Un système qui se sent obligé de voir sa jeunesse faire des pompes en sueur sur un stade, ou rester pendant des heures assise à écouter des discours moralisateurs et barbants pour avoir le sentiment de la contrôler. Un système qui se meurt et qui emploi des incompétents dans votre style pour se donner un sentiment d'importance. La vérité ? On s'en fout de vous. On vous mettra à terre un jour. Bientôt même."
Entre temps je me suis levée. Je suis toute rouge, en furie, j'ai conscience d'avoir mélangé beaucoup de choses mais tant pis, il fallait que ça sorte. Je me rassois, le regard brûlant. Petite taupe (que je vois maintenant plutôt comme une grosse araignée méchante) hausse les sourcils et reprend.
-"Ainsi les instructeurs avaient raison. Vous êtes bien une anti-système active."
-"Oui, et fière de l'affirmer."
-"Je vais donc organiser votre transfert."
Heu... mon quoi ?!

-"De quoi est ce que vous parlez ?"
-"Calmez vous. Je vais vous expliquer. Notre gouvernement voit bien que les choses vont mal, que sa jeunesse n'a plus confiance en lui. Ce service militaire est un moyen de montrer que le système est toujours là pour les jeunes, il doit les rassurer. Malheureusement, certains ne croient pas à son bienfait. Nous ne visons pas l'ensemble de ceux là mais surtout ceux qui sont des agitateurs. Qui plantent des petites graines de rébellion dans la tête de leurs camarades. Nous essayons de les repérer à chaque début de session. Généralement, ce sont toujours les personnes intervenant au test de 'l'instructrice frappant un élève" qui s'avèrent être des agitateurs. Beaucoup d'adolescents dans l'assistance n'accepte pas cette situation mais ils n'ont pas le courage nécessaire pour intervenir. C'est ce qui fait la différence entre un anti-système passif et un anti-système actif (ceux que nous recherchons). Vous êtes une exception, puisque vous vous situez entre les deux, mais par mesure de sécurité nous allons vous évacuer."
-"M'évacuer... vous voulez dire me renvoyer chez moi pour que j'évite de créer une rébellion au camp ?"
-"Pas vraiment. Nous allons vous envoyer dans un camp spécialisé, avec pleins de personnes comme vous. Là bas ils font des miracles, ils vous montreront la vérité, à savoir que l'ensemble de la France et de son histoire n'est que beauté."
Je nage en plein délire. Je ne veux pas partir moi ! Je pense à ma mère, à Gas, à Joshua, à Sally... comme j'aimerais les serrer dans mes bras, faire arrêter ce cauchemar, me réveiller....
-"Ce n'est pas possible ! Je resterai là bas combien de temps ? Et Paul et Charlie ?"
-"20 jours, comme prévu, jusqu'au 15 février. Tout ira bien, nous n'allons ni vous tuer, ni vous torturer. C'est un autre campus, voilà tout. Charlie et Paul vous accompagneront, ils ont été vu comme des anti-système actifs eux aussi."
-"Mais les autres vont se poser des questions si nous partons ! Votre histoire n'est pas crédible du tout."
-"Nous utilisons la même excuse à chaque fois, manque de place, départ volontaire avec des missions et des opportunités... personne n'ira se douter de quoi que ce soit de sérieux outre mesure."
La secrétaire de tout à l'heure entre dans la pièce. Je comprends qu'il va être temps pour moi de sortir du bureau et je manque faire une crise d'angoisse.
"Attendez ! Les parents d'une de mes amies, Théa, étaient censés me ramener à la fin de la session. Qu'est ce qu'ils vont dire ?"
-"Nous sortirons la même excuse. Ils se montreront compréhensifs ne vous inquiétez pas. Allez préparer vos bagages maintenant. La navette devant vous emmène tous les trois à l'autre camp part ce soir."
-"Il est où cet autre camp ? Je peux contacter ma famille ? Dire au revoir à mes amis ? Pourquoi je pars si vite ?"
-"À Paris. Non et non. Vous partez vite car nous voulons éviter les questions indiscrètes. Je vous ai dit que tout irait bien. Sortez maintenant."
Je sorts à reculons, abasourdie. J'emboite le pas à la secrétaire. Je ne sais même pas où je vais.

Le service militaire Où les histoires vivent. Découvrez maintenant