Quotidien

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15/02/18

Cela fait maintenant près de deux semaines que nous sommes cachés dans la base. Les journées sont longues. Je passe la plupart du temps avec Charlie, et j'évite au maximum Gaia. Son comportement est tellement imprévisible, cette fille semble si brisée et forte à la fois... Elle a eu du courage de s'enfuir seule. Je ne sais pas si j'aurais pu, moi.

Dans notre cachette sont disposés nos cours de l'année, au cas où cette histoire devrait s'éterniser. Il y'a la sociologie pour moi, le programme staps pour Charlie et prépa maths pour Gaia. On travaille beaucoup, on s'aide pour nos fiches c'est vraiment sympa. Et puis ça prend une partie de la journée ce qui n'est pas négligeable car on s'ennui facilement même si avec Charlie on fait du sport en plus. Car déjà que notre vie n'a pas été facile, si en plus on loupe notre année à cause du gouvernement cela me saoulerait légèrement. J'ai tellement de haine. J'ai essayé de me canaliser et de prendre du recul ces derniers jours, mais plus le temps avance plus je prends conscience de la gravité de tout ce qui s'est passé et l'ensemble me rends malade. En plus aujourd'hui est un jour spécial. Aujourd'hui est le jour où le service militaire d'un mois se finit. Le jour où j'aurais dû retrouver ma famille, ma mère, Gaspard, tous mes amis. Le jour où je serais retournée à une vie normale, enfin. À la place je suis coincée dans un bunker. Génial. Je n'arrête pas de me dire que si j'avais simplement tenu encore deux petites semaines au camp des anti systèmes tout serait fini. Mais au fond je sais qu'il ne sert à rien de penser ainsi. Au bout de cinq jours je n'étais presque plus moi même alors... à l'heure qu'il est je serais devenue un petit robot bien en accord avec l'état. L'intervention de l'espionne australienne et ma fuite auront au moins permis ceci : j'ai gardé toute mon intégrité.
N'empêche. À l'heure qu'il est Mathilde, Théa et Roan doivent être chez eux, bien au chaud. J'espère que tout le monde se demande où nous sommes et qu'ils lancent des recherches acharnées. Gaia dit que je rêve et que le gouvernement invente des excuses pour expliquer notre retard. Je trouve quand même cela étrange, elle est ici depuis deux mois, quelqu'un pense forcément à elle et doit se demander où elle est. C'est obligé : les mensonges d'état ne peuvent durer et faire taire la population éternellement.

Je me lève de mon lit, je ne peux tout simplement plus rester ici plus longtemps. J'ai trop de pensées dans ma tête, trop de choses qui surgissent. J'ai besoin de parler. Je sors de ma chambre et vais dans le couloir sur la pointe des pieds, il est tard et je n'ai aucune envie de réveiller Gaia. Arrivée au fond je toque à une porte et pénètre dans la chambre. Charlie est allongé sur son lit, un livre trouvé dans de vielles affaires mises à disposition sur les genoux. Il lève les yeux, à peine étonné.
-"Toi aussi tu ne peux pas dormir ?"
Je hoche la tête, m'allonge à côté de lui et pose ma tête sur le creux de son épaule. Même si nous sortons ensemble nous avons décidé de ne pas partager la même chambre : trop tôt. Et puis les commentaires railleurs de notre colocataire ne manqueraient pas de pleuvoir et je préfère m'en passer. Par contre nous sommes tout le temps ensemble. Pour manger, pour rire, pour les cauchemars tard le soir... Il m'a parlé de sa famille, sa petite sœur Lily, sa bande de copains immatures. Je connais sa vie presque par cœur. Et je lui en ai beaucoup dit aussi, à part sur mon père où j'ai juste avoué qu'il était décédé lorsque j'étais enfant. Dans ce genre de situation, à être toujours collés serrés les sentiments sont multipliés par trois. Aujourd'hui, encore plus qu'hier, Charlie m'est indispensable.
-"Tu sais Maé, si un jour on m'avait dit que je tomberai amoureux d'une fille pendant mon service militaire.."

-"Ha parce que tu es déjà amoureux ? Au bout de deux semaines de relation ? Fais gaffe ça va me faire peur."

-"Pas toi ? Arrête, tout de suite c'était une évidence et on se connaît depuis bientôt un mois et demi je te rappelle."

Je m'écarte doucement de lui. Il faut que je lui dise. Mes précédentes relations n'ont jamais rien su mais lui après tout ce qu'il a fait pour moi il mérite d'être au courant.
-"Charlie, il y a une dernière chose que je dois te confier. C'est à propos de mon père."
Je sens alors que je capte son attention. Ses yeux cherche mon regard mais je préfère le fuir.
-"J'avais sept ans lorsqu'il est mort. On jouait tout les deux dans le jardin, en se lançant un freesbee. Je l'ai jeté un peu trop fort, il est parti sur la route. Mon père a ri, me traitant de maladroite. Il est sorti mais il n'a pas vu la voiture, qui arrivait par la ruelle de droite, bien plus vite que ce qu'il faut. J'étais derrière le portail ouvert, je l'ai vu se faire percuter, je... j'ai vu le sang et le cri affolé du conducteur dans les crissements des pneus et.."

-"Maé... t'es pas obligée de continuer si tu n'en as pas envie."

-"Non, laisse moi finir. Tu vois Charlie je me sens responsable. Je sais que ce n'est pas ma faute. Mais si j'avais lancé ce fichu freesbee moins fort... mon père serait encore là. Et onze ans après j'ai toujours cette scène, quand il se fait renverser, dans les yeux. Quand je m'endors, parfois dans la journée. Je peux la raconter sans pleurer mais cette vision me brûle encore."

Charlie ne dit rien. Il ne s'exclame pas : "Oh mon dieu Maé je suis tellement désolée" comme a pu le faire Sally. Il ne se met pas non plus à pleurer comme Joshua, mon beau père. Il se contente de me prendre dans ses bras et de me serrer, de me serrer si fort que peu à peu toute la tension de mes muscles s'envole et je me sens presque en paix, comme si quelqu'un prenait une partie de mes démons.
Et doucement il caresse mes cheveux et embrasse le sommet de mon crâne. Alors je relève la tête et ses lèvres parcourent mon front, mes joues, l'ensemble de ma peau. Il n'a jamais été aussi doux.
Je passe ma main sous son haut et je le sens frissonner.
-"Maé tu es sure de vouloir le faire maintenant ? D'être prête ?"
Je déglutis et hoche la tête, je n'ai jamais été aussi sure. Je lui fais entièrement confiance. Certains pourront dire qu'au bout de deux semaines c'est de la pure folie mais tout mon être me souffle qu'il s'agit là d'une bonne chose.

Ses mains pénètrent sous mon tee shirt et effleurent ma poitrine. J'en profite pour lui enlever son haut et me coller contre lui. Nos souffles s'effleurent et nos lèvres s'embrasent. La nuit commence...

Le service militaire Où les histoires vivent. Découvrez maintenant