31/01/18 sixième journée au camp des anti-systèmes.
La journée semble se dérouler très lentement. Je fixe à tour de rôle Charlie et le soleil, remplie d'émotions contradictoires. J'ai peur mais je sais parfaitement que je ferais n'importe quoi pour me sortir d'ici. La grosse lumière ronde dans le ciel baisse peu à peu et pendant ce temps là la boule dans mon ventre grossit et prend presque toute la place.
Je profite du fait que nous soyons dehors à trottiner pour aller voir l'instructeur.
Ma voix siffle, c'est la première fois que j'ose demander quelque chose.
-"Excusez moi, est ce que je peux me rendre aux toilettes ?"
Je rougis et me tortille pour faire croire qu'il s'agit d'un problème de fille afin que ma requête soit plus facilement acceptée. Comme c'est humiliant. L'instructeur me détaille de haut en bas, hausse les sourcils et gronde : "Tu as trois minutes ! Pas une de plus !"
Ni une ni deux, me voilà sur le chemin. Le soleil commence à se coucher et je dois me rendre très vite sur le parking, place 12. Je jette un coup d'œil à Charlie, de l'autre côté, qui tente de me fixer discrètement. Je viens de griller un des seuls jokers valables et ils ne laissent jamais deux anti-systèmes partir en même temps, par précaution. Je croise les doigts pour qu'il s'en sorte.
Je me mets à courir en priant pour que personne ne me voit ou ne me pose de questions car les toilettes ne sont pas dans cette direction.
Au bout de quelques minutes qui me semblent durer une éternité j'aperçois le parking. Je fonce de plus belle, en ce moment même l'instructeur doit rugir de ne pas me voir revenir à l'heure. Ce n'est plus qu'une question de secondes avant qu'il ne se lance à ma recherche ou pire, alerte le centre de sécurité. Si l'instructrice n'a pas tenue sa promesse et coupée les caméras, alors je suis foutue, ils n'auront aucun mal à m'attraper.
Ça y est, le soleil est bas dans le ciel et je suis sur la place 12. Alors où est ce foutu camion ? Je ne le vois nul part... Non ce n'est pas possible, pitié ce ne peut pas être un simple piège...
Soudain je l'aperçois. Un petit camion blanc, qui roule à faible allure vers la sortie. Il semble y avoir pile assez de place pour s'accrocher en dessous et je crois même apercevoir une barre de fer. Je prends mon élan....
Mais je renonce. Je ne peux pas partir sans Charlie. Je vois ce petit camion, ce seul petit espoir qui s'en va peu à peu sans moi mais je me sens littéralement incapable de partir et de le laisser tout seul dans ce lieu maudit. Si je pars seule c'est qu'ils auront gagné et auront fait de moi ce monstre égoïste et sans âme qu'ils veulent que je sois.
Je pleure à chaudes larmes lorsque j'entends des pas accélérés derrière moi. Je pense me tourner vers le visage furax de l'instructeur mais en réalité il s'agit de Charlie, en train de courir aussi vite que possible vers moi. Comment a t'il fait ? Je suis son regard qui glisse vers le camion et je m'élance à mon tour. Il me rattrape rapidement et nous courrons aussi vite que possible. Combien de temps nous reste il avant que celui ci n'arrive trop près de la zone de contrôle des arrivées et départs pour que nous puissions nous glisser en dessous ? 30 secondes ? Combien de temps avant que les caméras ne se rallument ? 15 secondes ?
La porte blanche arrière se rapproche, Charlie en agrippe l'extrémité avec son bras et nous plongeons en dessous, entre les graviers et le bas du véhicule. Imperceptiblement celui ci se stoppe. Il y a quatre barres, une pour nos mains et l'autre pour y glisser nos pieds. Nous nous y accrochons le plus vite possible et déjà le camion repart. Je suis à bout de souffle, tous mes muscles tendus se focalisent sur une seule pensée : s'accrocher ! S'accrocher à tout prix...
Brusquement nous entendons des voix. Je retiens ma respiration, nous sommes déjà à la tour de contrôle. Il était moins une. Je le sais, tout se joue maintenant. Si ils ont eu vent de notre escapade, si la moindre atteinte au règlement est suspectée... ils fermeront tout par sécurité et alors adieu la liberté et bonjour le trou et les coups.
Finalement le camion repart et j'aperçois les bottes des militaires en faction. Je suis tellement soulagée... j'ai envie limite de leur rire au nez ! L'un des sites les mieux protégés laissent deux de ses occupants s'échapper ! Je me retiens avant de crier victoire trop tôt on ne sait jamais. Mais j'ai terriblement envie de pousser un cri.Nous roulons, encore et encore. Je ne sens même plus mes membres tellement j'ai mal à force de m'accrocher. Charlie aussi a une respiration de plus en plus saccadée. Au bout d'environ une trentaine de kilomètres, le petit camion se stoppe. La vision que j'ai me permets juste de pressentir qu'il s'agit d'un endroit isolé. Une voix d'homme retentit : -"Sortez de là, lâchez les barres. Vite. Nous ne sommes pas hors de danger."
Avec Charlie nous nous redressons péniblement, tout chancelants. L'homme en face de nous porte une cagoule et des vêtements noirs. Il nous tend à chacun un sac à dos, ouvre le fourgon de son véhicule et nous invite à y entrer. Il n'y a rien dedans.
-"Allez, grouillez vous !"
Je monte en tremblant, suivie de près par Charlie. La porte claque. Il y a peu de luminosité. Dans notre sac à dos un sandwich et des barres de céréales, de l'eau et un sac de couchage. L'homme dehors semble s'affairer à l'extérieur du camion.
-"Qu'est ce qu'il fait ?" je demande à Charlie.
-"À mon avis il change la plaque d'immatriculation. Peut être même qu'il repeint l'ensemble afin que nous soyons moins identifiables."
-"Suis je bête ! C'est toujours ce que je fais lorsque je prends ma voiture !"
-"Heureux de voir que tu es restée la même princesse."
Je le regarde et là, pour la deuxième fois de la journée, j'éclate en sanglots. Et pourtant je promets que je ne suis pas une chochotte mais là pour le coup... c'est trop pour moi. Je m'enfuis d'un camp horrible dans un camion étrange, sans même savoir où je vais. Je laisse derrière moi des individus humains qui souffrent, comme Paul, et que je ne peux sauver. Je n'ai plus aucun repère ni aucun souvenir personnel. J'ai juste... j'ai juste Charlie.
Je m'effondre dans ses bras en chouinant et je sens sa main dans mes cheveux qui tente de me bercer.
Je ne me rappel plus de la suite. Il me semble m'être endormie.
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Le service militaire
AdventureJanvier 2018. Depuis la dernière élection présidentielle tous les jeunes ayant atteints leur majorité sont "invités" à participer à un service militaire d'une durée d'un mois. Maé s'y rend en trainant des pieds, loin de se douter que cette expérienc...