V. Le début de l'enfer

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Je n'arrivais pas à saisir ce que mon père me disait, alors sans réfléchir je lui ai demandé :

- Raconte-moi ce que t'a fait ce connard, Papa.

Il a croisé ses bras et enfin, il a commencé son récit, mimant chaque geste. Il se souvenait de tous les détails...

7h précises, arrivé au bureau

Je pousse la porte de mon bureau et m'y installe, sortant mon nécessaire de travail. J'ai une boule énorme dans la gorge, l'estomac noué.
Je m'apprête à poser mon ordinateur portable sur la table, lorsque j'entends des pas lourds dans le couloir de l'office : ces pas, je les entends tous les jours. Ce sont toujours les mêmes, toujours ceux de la même personne : LUI. Il ouvre violemment la porte de la salle dans laquelle je me trouve.

- PJ (*) ! Dans mon bureau ! TOUT-DE-SUITE !
- Mais pour qui il se prend ? -murmurai-je

Malgré son ton agressif, je rejoins cet ours mal léché dans son bureau et je ferme la porte.

- Bon, PJ, je t'ai déjà assez répété ce que tu devais faire et ne pas faire. Ici, tu es chez MOI, dans MON entreprise, et tu te dois de respecter mes instructions :
- Ici, aucun coup de fil
- Tu ne parles pas car nous sommes sur écoute constante
- Tu exécutes ton travail sans broncher et tu as tout intérêt à bien le faire, car sache que tout est contrôlé et vérifié. J'ai placé des caméras partout, où que tu sois et quoi que tu fasses, tu es surveillé : PARTOUT, jusqu'à chez toi.

J'ai senti que mon père ne pouvait pas continuer à me parler de ce qu'il avait vécu, que ça devenait beaucoup trop dur. J'avais moi même les larmes aux yeux alors, les essuyant avec ma manche droite, j'ai dit à mon père :

- Papa, arrête-toi s'il te plaît, ne t'en fais pas je comprends. Tout ce qui t'est arrivé a été très difficile mentalement...
- Oui, j'arrête ici. C'est dur de s'ouvrir pour la première fois à quelqu'un, du moins à ma fille. En tout cas, cet homme est responsable de ma santé mentale, car quelques mois après je faisais un burn-out.
- Oh Papa... et après ? Que s'est-il passé ? Tu étais seul ? Où était Maman ?
- Justement, j'y venais. Un an après être entré dans cette boîte, j'ai rencontré ta mère lors d'un voyage en Egypte en 1990. Elle était belle, elle avait 22 ans, était blonde, les yeux marrons-noisette. Je l'ai "courtisée" pour parler d'une manière plus sage, mais tu sais que durant tout le séjour elle n'a pas voulu de moi car je n'étais pas "son style" ? Mais têtu comme j'étais, j'ignorais ce qu'elle me disait parce qu'au fond j'étais persuadé qu'elle était la femme de ma vie, peut-être n'aurais-je pas dû tant insister...
Au final, elle a accepté que l'on se revoit à notre retour en France : ce fut le cas et un an après, on s'installait ensemble, à Savigny-le-Temple. Et puis en 2000, un petit bout de chou blond est né, à 16:55 : c'était toi.
- Maman m'a dit qu'elle avait beaucoup lutté contre toi pour m'avoir !
- Oui c'est vrai, je ne voulais pas d'enfant, du moins pas quand elle, le voulait. Mais elle n'a jamais su la vraie raison..
- Celle que tu vas me dire je suppose ?
- Oui, ma chérie, tu as le droit à la vérité. Je n'ai jamais voulu d'enfant par peur de transmettre mon nom. Comme tu le sais,
Papy m'a reconnu comme son fils, c'est donc de son nom que j'ai hérité.
- Alors que ton père s'est enfui... C'est un homme ça ?
- Hum... donc voila, j'avais peur de transmettre un nom qui n'était pas le "mien", qui n'était pas celui de mon sang.
Et pour en revenir à ta naissance, j'étais un père comblé, mais malgré ça j'avais toujours l'esprit ailleurs à cause de ce que je subissais au travail. Il a fallu malheureusement un jour de trop pour que je pète littéralement les plombs. Tu sais, je n'étais pas conscient de ce que je faisais à ta mère sur le coup, mais je me souvenais de tout, et en prenais conscience a posteriori.
- Ce que tu lui faisais ? Papa, tu ne la frappais pas au moins...?
- Non bien sûr que non chaton. Mais inconsciemment, tout ce que mon patron me disait, je lui redisais une fois rentré à la maison. Je lui disais de ne pas parler car nous étions tous sur écoute et qu'il y avait toujours quelqu'un pour nous surveiller, toi-même quand tu pleurais je disais à Maman de te faire taire. Et puis je partais des semaines sans prévenir, et souvent on me retrouvait seul marchant dans les rues, la tête ailleurs. Voilà c'est ça : j'étais complètement ailleurs. Je ne sais pas comment l'expliquer avec des mots, mais lorsque je faisais quelque chose, c'était incontrôlable... Ta mère n'en pouvait plus de vivre constamment seule avec toi, dans l'inquiétude de savoir où j'étais, alors elle a appelé les pompiers. On m'a emmené à l'hôpital et j'ai fini dans un service de psychiatrie, où on m'a diagnostiqué le trouble bipolaire accompagné de délires psychotiques... J'ai dit à Maman :

- Ne me laisse pas ici je t'en supplie, je ne suis pas fou...
- Oh Papa...

Je me suis mise à pleurer.


(*) Les prénoms ont été modifiés.

Double JeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant